Cela fait déjà 11 longs métrages qu'Emmanuel Mouret parle de désirs et de la fragilité des sentiments. Ses dialogues fondent dans la bouche, rendant le coeur plus léger. Si l'amour a ses raisons, son oeuvre ne finit pas d'enivrer.
C'est toujours le cas de Chronique d'une liaison passagère, une savoureuse comédie mélancolique sur deux amants (Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne) qui décident de se voir uniquement pour le plaisir. Évidemment, la vie ne l'entend pas ainsi. Explorant à nouveau ses thèmes de prédilection, le cinéaste et scénariste français arrive encore à se renouveler, offrant ici un de ses films les plus exquis et attachants.
Cinoche.com s'est entretenu avec le réalisateur lors de son passage à Montréal pendant Cinémania.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire Chronique d'une liaison passagère?
Je trouvais la situation de départ très excitante. Ces deux amants décident de se voir que pour le plaisir. Et parce qu'ils prennent beaucoup de plaisir à se voir, ça devient justement un problème.
Le film tente de savoir si l'on peut séparer l'amour et le sexe. Vous en pensez quoi?
Je n'ai pas trop d'opinions sur le sujet. Le film montre que les choses sont compliquées. Et il pose comme question : « Est-ce qu'on peut avoir le plaisir qui fonctionne bien et qui dure »? Ce qui est amusant dans cette situation, c'est que les personnages se décident de ne jamais s'engager, de ne pas avoir de sentiments. Le sentiment et l'amour constituent finalement le danger et le spectateur le comprend bien avant eux. C'est cette ironie-là qui m'amusait aussi.
Il s'agit peut-être de votre film le plus drôle en carrière. Après Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait qui était plus dramatique, c'est bénéfique de revenir à quelque chose de plus ludique?
Quand je l'ai fait, je n'ai pas pensé faire un film drôle ou mélancolique. Je pense que c'est grâce à ses interprètes, Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne, qui ont beaucoup de fantaisie, qui possèdent dans leur personnalité quelque chose de très drôle et de très touchant à la fois. Je pense que ça tient beaucoup au casting. Sinon, j'ai fait des films plus directement comiques, que ce soit Fais-moi plaisir ou Changement d'adresse. Mais là, ce qui était intéressant, c'est qu'il y ait tout le temps des changements de ton.
Voyez-vous Vincent Macaigne comme un alter ego? Car à une autre époque, vous auriez incarné ce personnage un peu gauche et romantique, qui trouve que tout va trop vite...
Vincent Macaigne est mieux qu'un alter ego. C'est un super ego. (rires) Dans le sens où c'est un comédien que j'aime beaucoup et qui amène des choses encore plus sensibles, plus surprenantes et plus drôles que je peux imaginer. C'est vraiment très joyeux de jouer avec lui.
Comment est venue l'idée de créer un duo avec Sandrine Kiberlain? Sandrine excelle autant dans le drame que la comédie, mais on l'a rarement vue dans un tel registre...
C'est vrai que Sandrine est quelqu'un qui peut être aussi drôle que très touchante. Les deux ensemble, d'emblée, on pouvait passer du sourire au rire, à quelque chose de plus mélancolique. Ils se sont tout de suite bien entendus. Et dans le jeu, aussi. Ça été très vite évident, très vite fluide.
Vos films sont axés sur la parole. Dans un long métrage comme Chronique d'une liaison passagère, où il n'y a bien souvent que les deux acteurs à l'écran, comment on arrive à filmer la parole pour ne pas que ça soit ennuyant, pour que ça demeure toujours cinématographique?
C'était un vrai pari de mise en scène. Oui, sur papier, vous avez raison. Ce sont deux amants qui se retrouvent et qui discutent toujours ensemble. Mais ce que j'aime au cinéma, c'est quand l'intime devient passionnant. Quand une histoire intime devient une aventure au sens propre du terme. Donc il fallait donner de l'ampleur à cette intime et faire en sorte que, comme on retrouve toujours les mêmes deux personnages, on ne se lasse jamais d'eux. Il a fallu concevoir une mise en scène qui ne soit jamais posée. C'est pour ça, d'ailleurs, que les personnages ne sont jamais posés. Ils sont toujours en déplacement, ils arpentent plein de décors différents.
Les répliques de vos films sont souvent truculentes. À quoi ressemble votre processus d'écriture afin de trouver ces mots d'esprit qui sont à la fois charmants, spirituels et vrais?
Je ne sais pas. Quand j'écris des dialogues, je ne sais pas à l'avance s'ils vont fonctionner. Cela se fait au fur et à mesure. Et parfois, je le découvre lorsque le film est montré une première fois dans une salle, où je suis surpris que les gens rigolent à tel endroit. Évidemment, les acteurs apportent beaucoup au texte par leur talent et leur personnalité.
Il s'agit de votre 11e long métrage. Pourquoi presque tous sont centrés autour du désir, du sentiment amoureux? Qu'est-ce qui vous a amené-là?
Au départ, cela s'est fait parce que j'aimais beaucoup les films de Lubitsch qui ne parlent que du couple, de Guitry, de Becker, de Rohmer, de Truffaut, de Woody Allen. Dès qu'il est question de désir, il y a du suspense. La question du désir, ce qu'on fait avec son désir et comment vivre avec son désir sont des questions que je trouve intéressantes, amusantes, passionnantes. Tout ça est arrivé surtout en aimant des films.
Vous m'avez parlé de certains réalisateurs, dont la plupart sont décédés. Il y a des hommages dans Chronique d'une liaison passagère à des classiques du septième art, dont Brief Encounter de David Lean et Scènes de la vie conjugale d'Ingmar Bergman. Vous regardez tout de même des films plus récents? Le cinéma contemporain vous rejoint?
J'en regarde un peu moins. Je vais moins au cinéma que lorsque j'étais plus jeune et je le regrette. J'ai tendance à voir et revoir de vieux films. C'est comme si pendant l'adolescence, la cinéphilie avait créé des racines et finalement, j'arrive mieux à me nourrir des films de cinéastes d'une certaine époque que des cinéastes de mon époque. Je suis peut-être un peu trop préoccupé par mon travail pour regarder librement le travail des autres. J'ai beaucoup d'a priori, d'idées reçues, parce que j'essaye de défendre des choses. Parfois, je me reproche de ne pas être suffisamment souple, ouvert et accueillant envers des contemporains. Même s'il y a des contemporains que j'aime beaucoup, comme Hong Sang-soo. Mais je le suis beaucoup plus dans le cinéma classique.
Sentez-vous que depuis Mademoiselle de Joncquières, il y a un renouveau dans votre cinéma? On sent une nouvelle inspiration, une maturité inédite...
Il y a deux choses qui ont changé. Je ne joue plus dans mes films et je tourne en cinémascope. Peut-être qu'avec Mademoiselle de Joncquières, j'ai osé aller très loin dans un film très volubile. Un film dont je pensais qui n'allait pas marcher et qui a marché. Ça m'a donné une certaine forme de courage pour tenter des choses nouvelles. Et puisque je ne joue plus, peut-être que je me suis lancé dans une mise en scène plus sophistiquée.
Vers la fin du film, une femme donne un bouquin au personnage de Vincent Macaigne. Il s'agit d'un livre du poète québécois Gaston Miron.
Tout à fait. On m'a fait découvrir Gaston Miron qui est un immense poète et que je regrette qu'il ne soit pas connu en France. Parce qu'il mériterait de l'être davantage. Je trouve que le cinéma est aussi un moyen pour citer les auteurs et montrer ce qu'on admire. C'est un poète que je trouve extraordinaire.
Chronique d'une liaison passagère prend l'affiche le 18 novembre.