Huit années après la sortie de Maps to the Stars, David Cronenberg revient à ses premières amours avec Crimes of the Future, proposant de la science-fiction tordue et graphique où un artiste (Viggo Mortensen) et son assistante (Léa Seydoux) jouent littéralement avec la chair des gens. Le cinéaste l'avoue d'emblée qu'avec ce nouveau film, il voulait « regarder ce qu'il y a à l'intérieur d'un corps ».
Nous avons rencontré le plus culte des réalisateurs canadiens lors de son passage à Montréal, plus tôt cette semaine...
Crimes of the Future vient d'être présenté au Festival de Cannes, où il a évidemment choqué des spectateurs. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'un de vos films suscite le scandale...
Je ne suis pas certain que le film a choqué tant de gens. Avant sa présentation, j'ai effectivement confié mes appréhensions à la presse que des gens risquaient de sortir de la salle de cinéma. C'est ce qui s'était produit à l'époque de Crash et plusieurs individus étaient très en colère. Je me demandais si ce film allait produire le même effet. Mais on ne sait jamais comment les gens vont réagir. Je suis toujours le premier surpris.
C'est vrai que la réaction fut moins polarisée qu'à l'époque de Crash...
J'espère toujours que les gens aiment mes films, parce que je les fais pour eux. Mon but n'est pas de choquer, mais de surprendre, de faire réagir. Étonnez-moi! (lance-t-il en français pendant la conversation.) J'ai des idées, des images et des concepts qui sont parfois dérangeants, parfois magnifiques, et je vais vous raconter une histoire. J'aimerais que vous me suiviez pour voir comment vous allez réagir.
Un des mantras du film est que la chirurgie est le nouveau sexe. Vous pensez que c'est le cas?
J'espère que non. C'est une des idées que j'offre aux spectateurs. Le sexe a toujours été une chose compliquée pour les êtres humains. Parce que cela implique souvent des considérations économiques, politiques, religieuses, culturelles, philosophiques. Ce n'est jamais simple. Mais qu'est-ce qui arriverait si le sexe était bouleversé par des aspects technologiques? La chirurgie, c'est ça. C'est de la technologie qui est appliquée au corps humain. Et si ça devenait la norme pour la sexualité? Que la chose la plus érotique à faire pour le corps soit la chirurgie? Parce que c'est si extrême, si profond, si intime. Surtout s'il n'y a plus de douleur ou de risque d'infection, que tout le monde puisse y avoir accès... Avant, le sexe était lié à la reproduction. Maintenant, tu peux créer de la vie de façon in vitro. Le sexe a donc perdu sa fonction première et il peut devenir de la science, de la médecine, de l'art, de la technologie.
Crimes of the Future parle de création. C'est presque une oeuvre sur vous, David Cronenberg, artiste. Pour vous, au 21e siècle, qu'est-ce que la création?
Je pense que lorsque tu es un artiste, tu te mets en position de vulnérabilité. Tu plonges dans ce qu'il y a de plus intime en toi et tu l'offres aux spectateurs. Tu crées quelque chose de profond, d'organique et tu ignores comment les gens vont le prendre, s'ils vont comprendre. Ce qui peut évidemment créer de la frustration, de la douleur. Tu te mets complètement à nu et tu risques de te faire rejeter, critiquer, qu'on se moque de toi.
Après History of Violence, Eastern Promises et A Dangerous Method, il s'agit du quatrième film que vous tournez avec Viggo Mortensen. Vous le considérez comme votre alter ego? Car il semble ici un peu jouer votre rôle...
C'est certain qu'il y a des liens à faire. Je suis un artiste et je fais un film sur un artiste. Mais Viggo n'est pas mon alter ego. C'est un acteur, un ami. D'ailleurs, je ne veux pas d'alter ego. J'ai assez d'ego moi-même, je n'en ai pas besoin davantage! Avec Viggo, tu n'as pas seulement l'acteur. Il est également réalisateur, scénariste, photographe, musicien, éditeur. C'est un collaborateur très fort et très important pour moi.
Quelles sont les choses, les personnes ou les situations qui vous choquent, qui vous dérangent?
La politique des États-Unis me choque. C'est incroyable tout ce qu'ils peuvent inventer. Par exemple, il y a cette femme élue qui dit que les feux de forêt qui se produisent partout sur le territoire américain sont causés par des lasers juifs! Vraiment!?! Mais c'est de la folie! Surtout de la part de quelqu'un qui est élu, qui est au congrès. Alors oui, les politiques américaines me choquent plus que tout ce qui se trouve dans mes films. Et tu peux me citer là-dessus!