Qu'il incarne Astérix, l'inoubliable footballeur de Mensonges et trahisons et plus si affinités ou le père dépassé par les événements des Chatouilles, Clovis Cornillac est un des acteurs français les plus intenses de sa génération.
Il montre toutefois un côté plus romanesque de sa personnalité dans les films qu'il réalise. Ce fut le cas plus tôt cette année dans C'est magnifique et maintenant de Couleurs de l'incendie, l'adaptation de la fresque de Pierre Lemaitre sur le destin incroyable d'une femme (Léa Drucker) dans la France de 1927. Le long métrage qui s'inscrit dans la grande Histoire met également en vedette Benoît Poelvoorde, Olivier Gourmet et Fanny Ardant.
Cinoche.com a pu discuter avec l'acteur et le metteur en scène caméléon lors de son passage à Montréal dans le cadre de Cinémania...
Qu'est-ce qui vous a amené vers Couleurs de l'incendie?
La passion. Je ne fais des films qu'à la passion. Je serais incapable de faire un film qui ne me parle pas. Parce que c'est tellement obsédant de faire un film. Et c'est tellement impudique. Quand tu fabriques un film, tu mets tout ce que tu es... J'adore l'écriture de Pierre Lemaitre. Je lis ses bouquins depuis le début. C'est un auteur que j'aime énormément. C'est une littérature que je trouve flamboyante. Il n'a peur de rien. Quand Pierre Lemaitre et Gaumont m'ont demandé si ça m'intéressait, je me suis jeté dessus comme la misère sur le pauvre monde.
Le film - comme le livre - fourmille de thèmes contemporains comme la cupidité, l'ambition, le totalitarisme, les rapports de classes sociales...
En effet. Le fait qu'un film s'inscrive dans une période donnée n'empêche en rien sa modernité. Si on monte Hamlet encore aujourd'hui, ce n'est pas par hasard. C'est parce que la problématique est toujours la même. C'est la même chose pour les tragédies grecques. Si tu vas voir un psy qui te parle d'Oedipe, c'est qu'on n'a pas beaucoup bougé.
Pierre Lemaitre a scénarisé le film. À quel endroit trouvez-vous votre liberté là-dedans?
Partout. Ce qui a été délicieux avec Pierre, c'est qu'il m'a dit « tu me demandes ce que tu veux avec le scénario. Ce sera ton film ». Il a fait l'adaptation de son propre livre en scénario. Il a une vraie capacité à écrire des scénarios, ce qui n'est pas du tout évident. C'est un objet sec, qui est à l'inverse du roman, est un objet de travail. Mais moi, ma liberté elle était totale. Il ne m'a jamais rien demandé ou imposé. Je n'aurais pas pu, de toute façon. Si un producteur est au-dessus de mon épaule ou si quelqu'un me dit qu'il faut faire comme ça ou comme ça, je leur dis de prendre quelqu'un d'autre. Je travaille sur la confiance. Si vous venez me demander de faire un film, c'est parce que vous avez envie de voir ma vision. Alors il faut me laisser travailler et me foutre la paix.
Couleurs de l'incendie est la suite de Au revoir là-haut, dont l'adaptation cinématographique d'Albert Dupontel a remporté un immense succès critique et public. Il y avait une pression qui vient de lui succéder?
La vision d'Albert est très différente de la mienne de l'écriture de Lemaitre. Pour moi, l'enjeu n'était absolument pas de m'inspirer d'Albert. Ce que j'aime beaucoup chez lui, c'est qu'il a son cinéma. J'espère avoir le mien. Si on vient nous chercher, c'est parce que justement, il y a des différences. J'avais vécu ça aussi sur Belle et Sébastien 3, où le film de (Nicolas) Vanier et le film de (Christian) Duguay ne se ressemblaient pas et qu'ils ne ressemblaient pas du tout au mien.
Après Au revoir là-haut et Trois jours et une nuit, il s'agit de la troisième adaptation d'un livre de Pierre Lemaitre en cinq ans. Qu'est-ce qui peut expliquer cet engouement?
Quand vous mettez la main sur un filon, en général, vous ne fermez pas. Il possède une écriture qui inspire le cinéma. Ça inspire l'image, le rythme narratif. C'est intelligent et facile, dans le bon sens du terme. C'est très compliqué, d'être facile. Il arrive avec une écriture extrêmement chatoyante et riche. Il rend n'importe qui intelligent. Tout le monde peut lire Lemaitre, au même titre que Dumas, Hugo, Zola. On ne te laisse pas à la porte parce que tu n'as pas fait d'études. Ça vient vraiment te chercher.
De ce côté, le film s'apparente au livre avec ce côté rassembleur...
Ce qui est agréable, c'est fabriquer un cinéma spectaculaire dans le bon sens du terme, ce que j'appelle le grand cinéma populaire. Je vais voir un spectacle et en ressortir avec plein de thématiques qui ne sont pas gratuites. Je ne vais pas juste voir un film d'action avec des voitures qui traversent des immeubles. Non. Je préfère voir Spartacus, Unforgiven. Je trouve que c'est plus riche.
Vous avez débuté au cinéma comme comédien en 1985 dans Hors-la-loi. C'est toutefois seulement en 2015 avec Un peu, beaucoup, aveuglément que vous avez réalisé votre premier film...
Pendant les 30 premières années où j'ai fait que l'acteur, j'affirmais que je ne réaliserais jamais de films. Je me suis toujours considéré comme un artisan d'art et jamais comme un artiste. Le jour où je m'y suis frotté, j'avais beaucoup d'expérience comme acteur. Je me suis souvent retrouvé dans des films où il n'y avait pas de vision, pas de point de vue. On me demande de jouer, alors je joue. Je suis une machine à jouer. Mais au bout d'un moment, j'avais peur de me sentir aigri... Je me suis dit qu'il faut que je réalise pour redonner de la valeur, presque de la tendresse aux cinéastes. En le faisant, je suis tombé amoureux de ce métier, comme un coup de foudre. C'est la plus belle chose qui me soit arrivée professionnellement dans ma vie. Et ça, je ne m'y attendais pas du tout. Quand tu y as touché, c'est une drogue dure.