Découverte en 2012 dans Astérix et Obélix: Au service de sa majesté, la Montréalaise Charlotte Le Bon a depuis beaucoup tourné, trouvant notamment des rôles aux côtés d'Helen Mirren (The Hundred-Foot Journey) et de Joseph Gordon-Levitt (The Walk).
Elle se lance à la réalisation avec Falcon Lake, un récit d'apprentissage sur les vacances d'été inoubliables de Bastien (Joseph Engel), 13 ans, qui nouera une relation hors de l'ordinaire avec Chloé (Sara Montpetit), 16 ans.
Cinoche s'est entretenu avec l'actrice, cinéaste et scénariste dans la foulée de la première québécoise du film, qui ouvrait la plus récente édition du Festival du nouveau cinéma...
Qu'est-ce qui t'a amené vers la réalisation? Tu as toujours voulu réaliser ou c'est venu soudainement, par hasard?
C'est venu avec le temps. Ce n'était pas une envie. Je n'étais pas une enfant qui tournait avec une caméra Super 8 et qui rêvait d'être réalisatrice. Après, je viens quand même des arts visuels et le désir de raconter une histoire à partir des images est quelque chose qui faisait partie de moi. Ça m'intriguait, mais je ne le cherchais pas activement. Je pensais vraiment que j'allais juste dessiner et peindre toute ma vie. La carrière d'actrice m'est tombée dessus. J'ai beaucoup tourné en dix ans et j'ai l'impression que cela a été un peu mon école pour comprendre et observer le métier de réalisateur.
Pourquoi as-tu jeté ton dévolu sur le roman graphique Une soeur de Bastien Vivès?
On m'a tendu le roman graphique au moment où j'étais en montage de mon court métrage Judith Hôtel. Ces histoires de premiers émois, de premières relations sexuelles sont des choses que j'ai évidemment traversées. Je me sentais en confiance et apte à pouvoir jouer avec ce matériel-là. On m'avait donné le conseil qu'il valait toujours mieux écrire sur quelque chose qu'on connaît.
Même si le matériel existait déjà, on sent que c'est un projet très personnel qui va au-delà du roman graphique.
C'est un film qui me ressemble beaucoup. Cela a été un véritable travail d'adaptation. J'ai vraiment dû m'en défaire. Mes deux premières versions du scénario étaient beaucoup plus fidèles au roman graphique et on n'arrivait pas à monter du financement. C'est vraiment quand j'ai fermé la BD, que je l'ai rangée en me jurant que je n'allais plus l'ouvrir qu'on a commencé à trouver la vraie couleur du scénario. On y a ajouté l'histoire de fantôme, toute cette espèce de sous monde qui sous-tend l'histoire. C'était quelque chose qui n'était pas du tout présent dans le roman graphique. J'ai aussi beaucoup modifié le personnage de la jeune fille que je trouvais un peu trop disponible sexuellement.
On sent que ce personnage de la jeune fille est très important pour toi.
Tout à fait. Son interprète Sara Montpetit est une jeune fille vraiment formidable, hyper intelligence. Elle a aussi cette qualité qu'elle est très belle, mais elle ne joue jamais de sa beauté. C'était quelque chose qui était très important pour le personnage de Chloé, parce que je voulais que si elle séduit des gens ou qu'elle suscite du désir, ce soit vraiment à son insu. Elle ne se donne jamais véritablement. Elle garde toujours une forme de distance, probablement pour garder une forme de contrôle. Je pense que c'est probablement un rôle que j'aurais voulu faire à son âge. Mais ce n'était pas du tout les rôles qu'on me donnait et ça me faisait chier. (rires)
Pour toi, que représente la figure du fantôme dans le film?
Très vite dans ma vie, j'ai été confronté au deuil. J'ai perdu mon père quand j'avais dix ans. Je pense que c'est quelque chose qui m'a apaisée, en fait, la notion du spectre, la notion du fantôme, la notion que quelque chose est là, qu'on ne voit pas nécessairement et qu'on fait juste sentir. Je pense que c'était mon arme à moi pour pouvoir affronter le deuil... Dans le film, on est vraiment plus dans l'ordre de la mélancolie. Mais comme on ne le voit pas, ça fait partie du monde de l'étrange, où l'on peut projeter plein de choses qui sont un peu inquiétantes.
Tu as tourné beaucoup tout en observant énormément sur les plateaux. Cela dit, comment es-tu arrivée à trouver ton langage au niveau de la mise en scène?
Je ne sais pas comment on développe son langage. Je pense qu'il faut juste savoir le cinéma qu'on aime, se laisser inspirer et bien connaître son histoire. Quand j'écrivais, les idées me venaient souvent visuellement d'abord et ensuite j'étais capable de les mettre en mots.
Qu'est-ce que tu aimes au cinéma?
J'aime beaucoup de choses au cinéma. Là je travaille sur mon deuxième long métrage et les films que je regarde n'ont rien à voir avec ceux que je regardais sur Falcon Lake. Sur le premier, les inspirations étaient Call Me By Your Namede Luca Guadagnino. J'aimais vraiment beaucoup la façon dont la mise en scène ne prenait jamais le pas sur le récit et sur les personnages. Je n'avais pas envie que mon film soit prétentieux, qu'on ait le sentiment que c'est ambitieux, « regardez j'ai mis la caméra là et personne ne s'y attendait ». Je voulais éviter tous ces effets-là pour qu'on reste dans l'histoire, dans le récit. Ensuite, pour le côté étrange, on ne sait pas si c'est de l'ordre du fantasme ou de la réalité, il y a Take Shelter de Jeff Nichols. Pour son onirisme, sa poésie et son esthétisme, il y avait A Ghost Story de David Lowery. Il y avait aussi American Honey d'Andrea Arnold pour le côté très vivant des acteurs et My Summer of Love de Pawel Pawlikowski pour son travail sur les textures, la chaleur, les couleurs qui m'inspiraient vraiment beaucoup.
Puisque tu es déjà en train de bosser sur ton deuxième long métrage, je présume que l'expérience de Falcon Lake t'a donné la piqûre de la réalisation?
Oui. Le tournage s'est bien passé, mais c'était hyper ardu. Rien n'y facile. Il faut être un peu maso pour vouloir être réalisateur et je pense que je le suis! (rires)