Fille des illustres chanteurs Serge Gainsbourg et Jane Birkin, Charlotte Gainsbourg a pratiquement grandi au cinéma. Malgré presque quatre décennies de métier, elle n'avait jamais réalisé de film. Jusqu'à aujourd'hui, par l'entremise de Jane par Charlotte, où l'actrice plonge dans l'intimité de sa mère, filmant au passage les fantômes de son père et de sa soeur Kate. Nous l'avons rencontrée lors de sa plus récente visite à Montréal...
Votre documentaire est marqué au fer blanc par le passage du temps...
Tout à fait. Au départ, je ne savais pas trop ce que je faisais et ça s'est articulé petit à petit. Je savais qu'en nous mettant dans un lit, ça allait impliquer le thème du sommeil, des somnifères, des hommes respectifs et du temps. En prenant ma mère en photo, ça allait être des thèmes du physique, de son rapport à son image, à son corps.
À un moment, votre mère a refusé de poursuivre sa participation à votre documentaire...
Je m'étais mal expliquée, puisque je ne savais pas ce que je faisais. J'ai voulu que ça soit tout de suite personnel. Mais elle pensait que je faisais un documentaire sur l'actrice et la chanteuse, que j'allais lui poser des questions sur son parcours. Peut-être que si je l'avais préparée en lui disant que j'aimerais faire un film sur notre rapport intime, ça ne l'aurait pas intéressée. Elle s'est sentie prise en otage, ce que je comprends très bien. Mais elle s'est laissée conquérir par les images déjà tournées, par la douceur et le fait que c'était bienveillant. Je n'avais aucune envie de lui faire du mal ou de la torturer.
On sent que vous avancez parfois à tâtons dans la création, vous laissant guider par votre instinct...
Oui. J'étais assez naïve par rapport à la démarche. J'y allais bien sûr très préparée. Mais après, je naviguais selon ses réponses, en gardant pas mal de liberté. Après les tournages au Japon et New York, je suis rentré à Paris pendant la COVID et j'ai commencé le montage. Ma monteuse m'a dit que je ne tournais pas assez. Je suis allée m'acheter une caméra et j'ai demandé à ma mère si elle acceptait que je fasse ça de manière un peu plus bancale, spontanée. J'étais intimidée à l'idée de braquer une caméra sur ma mère. J'ai alors pris ma petite fille sous le bras, parce que ça amenait quelque chose de banal, de quotidien. J'ai compris que j'allais non seulement à la recherche de ma mère, mais aussi à la recherche des trois générations de filles... Quand je suis revenue auprès de ma monteuse, on tenait le film. C'était le côté bien cadré, élaboré, préparé et le côté mal foutu, je ne sais pas ce que je fais et je cherche. J'ai compris le film au fur et à mesure.
Avec ce projet, qu'est-ce que vous avez découvert sur votre mère?
Quand on a montré le film et qu'on a commencé à faire des interviews, j'ai compris que ma mère ne savait pas l'amour que je lui portais. Elle pensait qu'il n'y avait que la place pour mon père. Comme il est mort quand j'avais 19 ans, c'est sûr que le manque était tellement extrême que je ne parlais que de lui... À la fin du film, je lui ai fait entendre une déclaration d'amour, que je n'ai pas osé lui dire face-à-face.
Votre mère a aimé le résultat final?
Oui. Quand je lui ai demandé si elle était heureuse du portrait que j'ai fait d'elle, elle m'a tout de suite dit que j'avais aussi fait un portrait de moi. C'était le portrait d'une fille qui cherche sa mère.
Vous avez commencé à jouer en bas âge, dans les films de Claude Miller. Vous avez été dirigée par les plus grands, que ce soit Alejandro Gonzalez Inarritu, Arnaud Desplechin, Wim Wenders et Todd Haynes. Qu'est-ce qui guide vos envies de cinéma?
C'est un plaisir de pouvoir travailler avec des metteurs en scène que j'admire. C'est une chance d'aller explorer des trucs qu'on ne connaît pas. J'espère pouvoir aller dans des contrées encore inconnues, de me surprendre aussi.
Vous avez donné le meilleur de vous-même devant la caméra de Lars von Trier, dans Antichrist, Melancolia et Nymphomaniac. À quand une nouvelle collaboration avec l'enfant terrible du septième art?
Ça, j'aimerais bien. On est toujours en contact, c'est quelqu'un que j'estime tellement. Il sait que j'aimerais retravailler avec lui. Mais je ne sais pas s'il m'en donnera la chance. Je pense qu'il m'a vue sous toutes les coutures! (rires)
Sur le plan musical, vos collaborations parlent également d'elles-mêmes, que ce soit avec Air et Beck. À quand du nouveau matériel? Je vous verrais bien faire quelque chose avec le duo Beach House...
Ça me prend énormément de temps. Quand c'était un projet avec Air, j'étais motivée et l'énergie venait d'eux. Beck aussi, c'était lui le moteur. Maintenant, j'ai compris que j'adorais écrire mes textes, même si je n'en suis pas fière forcément et que je n'ai pas de méthode. Tout ça est un peu accidentel. Ça demande vachement de temps, parce qu'un texte je vais l'aimer le jour où je l'écris et le lendemain le trouver nul... Là j'ai un album, mais qui ne se tient pas encore. Ça pourrait se terminer dans quelques mois comme dans six ans.