Depuis 15 ans, le septième art de Céline Sciamma se démarque des conventions, filmant les premiers émois amoureux (Naissance des pieuvres), la délicate quête identitaire de l'enfance (Tomboy) et celle, plus problématique, de l'adolescence (Bande de filles). Puis est sorti en 2019 Portrait de la jeune fille en feu, son chef-d'oeuvre qui a enflammé la planète cinéma.
Au lieu de se reposer sur ses lauriers, la cinéaste française propose avec Petite maman une plongée dans le monde secret des enfants, alors qu'une fillette se lie d'amitié avec une fille de son âge qui pourrait bien être... sa propre mère! Une oeuvre libre et magique comme les grands Miyazaki, qui irradie par tant de beauté.
Dans le cadre des Rendez-vous du cinéma français d'Unifrance, nous nous sommes entretenus avec la réalisatrice...
Votre filmographie laisse une place prépondérante à l'enfance, cette période importante où tout est encore possible...
Ça me plaît d'avoir des personnages d'enfants, parce que ce sont des personnages qui vont bien dans le cinéma que j'ai envie de faire. Ils sont des observateurs. On dit souvent que les enfants n'ont pas le choix, d'ailleurs, d'observer. Ils ne peuvent pas toujours participer. C'est important de regarder, quand on est enfant. C'est vital de regarder ses parents. Parce qu'on est curieux, mais aussi parce que c'est comme ça qu'on survit, qu'on cherche à comprendre des situations.
Cette façon d'observer le monde qui les entoure, de poser un regard sur les choses, était d'ailleurs au coeur de Portrait de la jeune fille en feu...
C'est vrai que je fais des films qui sont toujours centrés autour du regard d'un personnage et ce regard est chargé d'une question importante. Ça produit de l'attraction, du cinéma, qui est quelque chose de l'ordre de la vie ou de la mort dans le fait de regarder quelqu'un. L'importance de ce que c'est de regarder pour un enfant dans sa vie va bien avec le cinéma.
En parlant de la question du regard, on peut voir beaucoup de choses dans ce film. Pour moi, c'est comme un voyage dans le temps, même si le concept demeure très différent de Back to the Future ou de 12 Monkeys. Tout dépend vraiment du public, de sa propre vision des choses...
C'est un film très collaboratif avec le spectateur. Je pense qu'au fil du temps, mes films deviennent de plus en plus ouverts. Les gens peuvent voir ce qu'ils veulent et ils sont actifs. Alors oui, on peut y voir un film de voyage dans le temps sans la machine. La machine serait en fait le film qui t'invite à plonger dedans, où tes conceptions changent sans cesse. C'est pourquoi je n'ai pas inclus trop de détails et d'histoires secondaires sur cette famille. Tout est vu selon la perspective de l'enfant et c'est justement son regard qui permet aux spectateurs de voir autre chose.
Sentez-vous que c'est un hommage à votre propre jeunesse?
Il y a plein de liens à faire avec mon propre parcours. J'ai filmé dans la ville où je suis née, dans la forêt où j'allais petite. La maison a été conçue sur mes souvenirs personnels des maisons de mes deux grands-mères. Alors oui, c'est grandement inspiré de ma jeunesse. Mais en même temps, c'est un film universel qui parle du monde d'aujourd'hui. Tout est né d'une envie de cinéma.
Pensez-vous que le film Ponette de Jacques Doillon pourrait être une référence?
Ponette m'a frappée lorsque j'étais jeune. Je ne pense pas avoir vu un film avec une enfant aussi forte, aussi mémorable. Elle te chavire complètement le coeur! Cela dit, les enfants sont souvent au centre des histoires : pensons aux 400 coups, E.T., The Kid de Chaplin, L'enfance nue de Pialat... La France a une longue tradition d'enfants au cinéma. C'est tellement bizarre quand on y pense! De s'inscrire dans cette mouvance, avec ce qui est vraiment mon premier film familial.
Pensez-vous que les enfants vont recevoir le film de la même manière que les adultes? Qu'ils peuvent connecter avec ce qui se déroule à l'écran?
Oui, je le crois. Les rétroactions des enfants sont très bonnes. Les relations avec les mères et les grands-mères les intéressent beaucoup. Tout comme les liens avec la mort. Des enfants m'ont confié que s'ils avaient vu ce film avant de perdre leur grand-mère, ça les aurait grandement aidés.
Vos films sont spéciaux et personnels. Ils ne ressemblent à rien d'autre. Vous avez une idée d'où naît votre création?
Je passe beaucoup de temps à errer. Là, par exemple, pour mon prochain projet, je ne sais pas encore où va aller l'histoire. Je ne sais pas de quoi ça va parler. Mais je sais que je vais y mettre plusieurs de mes désirs jusqu'à ce qu'ils forment quelque chose ensemble. Je voudrais y inclure des éléments de comédie. Quand je pense à un projet, je passe mon temps à lire et à écrire. Je suis un véritable vampire! C'est un long, un très long processus créatif. Ça m'a pris cinq ou six ans pour Portrait de la jeune fille en feu. Je prends mon temps pour bien faire les choses.