Le cinéma de Bernard Émond s'inscrit au-delà des modes, tentant de filmer l'indicible. Dans Une femme respectable, il s'intéresse à une bourgeoise (Hélène Florent) des années 1930 qui décide de s'occuper des enfants que son mari (Martin Dubreuil) a eus avec une autre femme.
Le cinéaste nous parle de ce nouveau film riche et complexe sur le plan humain...
Une femme respectable serait votre dernier film. Pourquoi envisagez-vous la retraite?
Parce que c'est difficile de financer des projets. C'est sûr que si quelqu'un m'arrive avec trois millions de dollars, je ne dirais pas non. Mais ça n'arrivera pas (rires). J'ai eu de petits problèmes de santé et je ne veux pas courir après le trouble. C'est un métier que j'ai passionnément aimé. J'ai aimé travailler avec les comédiens. J'ai eu des équipes formidables, des gens qui ont été fidèles pendant 30 ans. Ça me fait un peu de peine.
Qu'est-ce qui vous intéressait dans cette nouvelle de Luigi Pirandello, Toute la vie, le coeur en peine, pour vous convaincre d'en faire un film?
Je suis tombé en amour avec le récit. C'est une histoire qui révèle toute la contradiction des personnages, tous les mouvements de leur âme. Ils ne savent pas ce qu'ils veulent. Ils sont comme nous autres. Souvent, dans les moments importants ou clés de notre vie, on ne sait pas. Je l'aime? Je ne l'aime pas? Est-ce que je vais rester ou partir avec? Ce sont les moments où on est le plus vivant, même si ce sont des moments d'intenses douleurs. Ce n'est pas le petit 9 à 5, le train-train quotidien. On est dans une crise, on ne sait pas ce qu'on veut, on va probablement prendre la mauvaise décision et on va la prendre quand même! (rires)
Il s'agit d'un magnifique nouveau portrait de femme, qui a toujours été au coeur de votre oeuvre...
J'ai été élevé avec des femmes. Mon père a été absent. Je n'avais ni frère ni soeur. J'ai été élevé par ma mère et mes tantes. Je connais plus les femmes que les hommes. Les femmes courageuses me fascinent. Celles qui refusent d'être des victimes me fascinent. Une des choses que je déteste le plus de notre époque, c'est la victimisation. Il faut être plus victime que le voisin ou la voisine. C'est en étant victime qu'on acquiert une identité. Ça m'énerve, tu ne peux pas savoir! Moi, ce qui m'intéresse, c'est la dignité devant l'adversité. J'aime les deux personnages dans ce qui les éloigne. Ils sont plus intéressants en refusant ce qui s'offre à eux qu'en l'acceptant.
Hélène Florent est magnifique de nuance, de profondeur et de subtilité.
Absolument. C'est une comédienne qui a beaucoup d'expression et de puissance. Et elle arrive à manier et à contenir ce qui reste. C'est l'intensité de l'émotion. Tout se passe dans ses traits, dans ses yeux. C'est un bonheur pour un cinéaste, parce qu'on est témoin de ça. Moi, je n'en revenais pas. Elle est formidable!
Même si le film se déroule au début des années 1930, il en dit long sur le Québec d'aujourd'hui...
On m'a proposé de faire une histoire contemporaine avec ça et j'ai refusé immédiatement. Je pense que le film est profondément québécois et qu'il se nourrit de notre histoire. On retrouve des caractéristiques des rapports hommes et femmes, des classes sociales. Quel bonheur aussi de faire un film historique! Je trouve que la vie contemporaine ne goûte pas grand-chose. On est tous habillés n'importe comment, on est dans le n'importe quoi. Là, une bourgeoise est une bourgeoise et un ouvrier est un ouvrier. Ça se sentait dans les costumes, dans les attitudes. Tout ne ramenait pas à l'argent. Pourtant l'argent était important. Mais ça goûte la vie.
Vous revenez au drame de chambre, une première depuis votre premier long métrage de fiction La femme qui boit (2001).
C'est comme un retour aux sources. Ce sont des intérieurs et on tourne en studio : c'est d'une souplesse de travail qui est extraordinaire. Ce genre de mise en scène là laisse beaucoup de place aux comédiens. On ne multipliait pas les angles et les prises non plus. On met la caméra. Si on s'approche, on est fait. On voit le pathos. Ce n'est pas ça que je veux. Ce que je veux, c'est la douleur et la dignité. Cela permet de se rapprocher encore davantage des comédiens. Si j'avais un autre film à faire, je ferais un autre film de chambre.
Avant de tourner, vous revoyez des films que vous avez aimés? Car en découvrant celui-ci, ça me faisait parfois penser à du Bergman...
Je ne vois vraiment presque plus de films et que des films anciens. Mais quand je suis en travail, je ne visionne pas beaucoup. Je les ai dans ma tête. Les scènes à deux de Bergman, je les connais.
Avec Une femme respectable, vous semblez retrouver un certain souffle...
C'est assez inexplicable. J'ai accordé la même attention à tous mes films. Je suis quelqu'un qui travaille. Peut-être que je suis fait pour faire de films de chambre, bien que La neuvaine et 20h17 rue Darling n'en étaient pas. Allez comprendre! Ce travail-là a tellement de variables complexes et souvent inexplicables. La chimie, ça pogne ou pas. Je sens que j'ai toujours eu une connivence avec les acteurs. Mais cette fois-ci, il s'est passé quelque chose. Si jamais c'est mon dernier film, on pourra dire qu'il est aussi bon que le premier. (rires)
Maintenant, comment allez-vous occuper votre temps?
Je continue à écrire des nouvelles. J'ai un grand plaisir à faire ça. Pas d'horaire, pas de budget. Je travaille. Si on n'est pas content d'une phrase, on peut la reprendre. Si on n'est pas content le lendemain, on peut la reprendre encore. Et le lendemain aussi. Il n'y a personne qui regarde et ça ne fera pas de catastrophe économique pour personne. Et si je trouve la phrase seulement dans un mois, c'est très bien aussi (rires). Travailler sans les contraintes d'un patron, c'est un grand plaisir. Une job d'artisan, j'aime ça.
Une femme respectable prend l'affiche le 18 août.