Adapté du roman du même nom de Vanessa Springora qui, au milieu des années 1980 et à l'âge de 14 ans, a entretenu une relation intime avec Gabriel Matzneff, un populaire écrivain quinquagénaire, Le consentement ne tarde pas à rendre inconfortable. Devant la caméra de Vanessa Filho et alimentée de sa plume qui est nommée aux César dans la catégorie de la Meilleure adaptation, la petite-fille du chanteur Jacques Higelin, Kim, brûle l'écran, ayant décroché une nomination aux Césars comme Révélation féminine.
Cinoche.com s'est entretenu avec la cinéaste et l'actrice principale dans le cadre des Rendez-vous d'Unifrance, à Paris.
Avec les révélations d'histoires de pouvoir et de manipulation qui secouent la société et les médias depuis le mouvement #metoo, ce film semble plus important que jamais.
Vanessa Filho : En effet. La protection des mineures est mon sujet de prédilection depuis très longtemps. J'avais envie de continuer de perpétuer le combat initié par Vanessa Springora et d'encourager cette parole libérée. À la lecture du livre, j'ai été vraiment choquée, mais aussi très en colère par toute la douleur qui parcourait ces pages. J'ai ressenti comme une urgence, le besoin de transposer cette histoire en film.
Comment s'est déroulé la relation avec Vanessa Springora?
V.F. : Je lui ai écrit une très longue lettre. Elle a vu mon premier film, Gueule d'ange. On a discuté ensemble. Comme c'était une adaptation, ça l'effrayait un peu. Mais il y a eu un partage d'émotions. Elle m'a vraiment témoigné sa confiance. Je n'avais pas envie de vivre ce film loin d'elle, parce que c'est vraiment son récit. Je voulais être au service de sa vérité, de son histoire et de ce combat qu'elle avait initié. Pour moi, c'était très important qu'il y ait un dialogue entre nous. Elle a lu plusieurs versions du scénario, elle m'a fait de nombreuses remarques, on a beaucoup échangé, et cela a permis au projet de grandir dans sa forme et dans sa profondeur.
Comment se prépare-t-on pour un tel long métrage?
V.F. : Ce n'est pas un projet dans lequel on peut s'investir en se protégeant ou en restant à distance. Cela demande une empathie totale et une prise de risques émotionnelles, même si on n'a pas du tout vécu cette histoire-là.
Kim Higelin: L'investissement doit être total. On doit s'y plonger entièrement sans aucune peur. Le récit de Vanessa Springora est tellement plus grand que moi qu'en fait, c'est très facile de s'y baigner totalement. Je crois que j'ai un peu donné tout ce que j'avais pour ce projet-là. C'était aussi, évidemment, mon premier rôle. Cela aurait pu être intimidant.
Pour quelles raisons avez-vous demandé à Kim de jouer dans votre film?
V.F. : À votre avis? (Rires)
En voyant le film, on comprend pourquoi. Mais avant...
V.F. : Quand on réalise un film, et surtout un film comme celui-ci, on a besoin d'être bouleversé au moment du casting. On a besoin de perdre le contrôle de ses émotions, parce qu'on va être submergé par une émotion qui va donner sens à toutes ces années de solitude d'écriture. Je fais aussi du cinéma pour ça. C'est un instant de grâce de rencontrer son miroir émotionnel. On voit comme ça tout cet univers s'incarner en une personne. C'est le moment le plus beau en réalisation. Quand j'ai vu les premiers essais de Kim, pour moi, il n'y avait aucun autre choix possible. C'était elle. Elle avait à la fois ce feu en elle, et en même temps cette vulnérabilité et ce panel émotionnel sans limite. Elle était troublante de vérité. J'avais peur de ne pas rencontrer cette actrice qui allait me bouleverser.
Image du film Le consentement - Moana Films
Jean-Paul Rouve est méconnaissable dans la peau de Gabriel Matzneff...
V.F. : Je connais le cinéma de Jean-Paul depuis de nombreuses années. Il me fascine et m'intrigue par sa capacité à se transformer. C'est incroyable! Dans le paysage français, ils sont rares les acteurs à se transformer autant. Là, c'est un rôle complexe. Quand on parle de pédocriminalité, il faut quand même incarner un personnage que l'on ne va jamais pouvoir aimer, pour lequel le spectateur n'aura pas d'empathie mais du dégoût et de la colère. Il y avait beaucoup d'enjeux. Jean-Paul n'a pas eu peur de rentrer complètement dans ce personnage-là et de s'investir totalement dans ce film.
Comment s'est construit la relation avec votre partenaire de jeu?
K.H. : C'est Vanessa Fihlo qui nous a introduits. On s'est rencontrés et on s'est rendu compte qu'on était tous là pour les mêmes raisons. Après chaque prise, on se rendait compte que ce qu'on venait de jouer s'était réellement passé. Je pense que le fait d'interpréter des faits réels nous touche directement et différemment.
Le consentement traite de sujets sensibles et délicats. Comment arrive-t-on à trouver le ton juste et respectueux, notamment lors du tournage de scènes à caractère sexuel?
V.F. : Ce sont les émotions de mon héroïne qui déterminent toute la composition du film. Ce sont même elles qui m'indiquent les mouvement de la caméra. Non seulement les mouvements, mais également la juste distance entre la caméra et elle pour pouvoir saisir au plus près sa vulnérabilité, et donc raconter ce qu'est le consentement. Je n'avais pas envie qu'on sente le point de vue de la réalisation : c'est le point de vue de mon héroïne qui était important.
Vous avez conservé à l'écran une archive télévisuelle avec Denise Bombardier, qui fut l'une des premières personnes à dire publiquement que Gabriel Matzneff était pédophile.
V.F. : C'était vraiment primordial de lui rendre hommage. Quand on voit cet extrait, Denise Bombardier est la seule personne qui prend la parole au nom de toutes ces jeunes filles et qui ose s'insurger contre ce milieu élitiste empreint d'un sentiment et d'une volonté de domination. Grâce à elle, la conversation est revenue à quelque chose d'humain, de pragmatique et de vrai. Et ce qu'elle dit est tellement juste. Savoir qu'elle a dû payer les frais de ce courage est quelque chose qui m'a vraiment choquée et bouleversée... Cette époque-là - les années 1980 - et ce petit milieu, cette intelligentsia-là, a détruit un nombre incroyable de personnes. C'est terrible! Je pense que ce témoignage et cette présence dans le film rappellent aux spectateurs d'aujourd'hui et aux générations futures que cette histoire a vraiment existé.
Le consentement prend l'affiche le 23 février.