Menant de front une enviable carrière d'actrice et de réalisatrice, Valérie Donzelli est principalement connue pour avoir mis en scène La guerre est déclarée, une oeuvre bouleversante sur la maladie d'un enfant.
Pour sa sixième réalisation, L'amour et les forêts, elle plonge dans le cauchemar d'une femme (Virginie Efira) qui se retrouve prise au piège d'un homme possessif et dangereux (Melvil Poupaud).
Cinoche.com s'est entretenu avec la cinéaste lors de son passage à Montréal, dans le cadre de Cinemania.
Qu'est-ce qui a piqué votre intérêt dans le roman d'Éric Reinhardt?
Ce qui m'a plu dans le livre et ce qui m'a donné envie de l'adapter, c'est que j'y ai vu le potentiel pour faire un thriller psychologique. Ça me permettait d'essayer un autre genre de cinéma. Surtout que le sujet m'intéressait. Il y avait des résonances personnelles autour de moi... De façon plus universelle, il était question de la domination des hommes sur les femmes, de féminicide, ce qui est totalement révoltant. Je trouvais ça intéressant de pouvoir raconter la mécanique de l'emprise dans une relation de couple avec mes outils que sont le cinéma.
Comment s'est déroulé le processus d'adaptation avec Audrey Diwan (L'événement)?
Ça s'est passé très simplement, parce qu'on est très complémentaire. On s'est très bien entendu dans l'écriture. Même si on a des rapports un peu musclés, parce qu'on a tous les deux de gros caractères. On était sur la même longueur d'onde sur ce que devait être le scénario et l'histoire : d'être vraiment dans le point de vue de cette victime et qu'elle s'en sorte par elle-même. C'était très important pour nous deux.
Comment arrive-t-on à renouveler un sujet vieux comme le monde? Car de nombreux cinéastes - comme Alfred Hitchcock - sont déjà passés par là?
On y arrive en sachant exactement pourquoi on le fait et ce qu'on veut raconter. Je ne voulais pas qu'on soit dans la tête du bourreau jaloux et possessif, parce que c'est quelque chose qui a déjà été fait, par exemple dans L'enfer de Chabrol. Pour moi, ce qui était important, c'est qu'on soit réellement dans la tête de la victime. Qu'on sente sa stupéfaction, qu'on voit qu'elle n'a pas les armes pour se défendre parce qu'elle fait face à quelqu'un de redoutable.
Une des scènes fondamentales du film est le passage en forêt. C'est là qu'il y a une cassure avec le reste du récit et un désir de changement chez l'héroïne. Un moment qui se rapproche du conte, comme ce fut le cas dans vos précédentes créations, La reine des pommes et Marguerite et Julien.
Je crois que je n'aime pas faire des films réalistes. J'ai l'impression que passer par le conte m'amène une sorte de pudeur. On accepte peut-être mieux ce qui est dit sans le rejeter.
On sent un immense soin apporté à votre mise en scène, autant sur le plan de l'esthétisme que de son élégance, de votre assurance comme réalisatrice.
Je voulais faire un vrai film de mise en scène. Une mise en scène que l'on ressent, que l'on voit. C'est le genre du film qui s'y prête. Dans un thriller, la mise en scène est forcément importante. Car on vit de la tension, on joue avec l'angoisse. C'est un film plus mature que mes précédents.
Une scène du film L'amour et les forêts - Axia Films
Ce n'est pas la première fois que vous faites chanter vos personnages...
D'une manière générale, dans mes films, quand on n'arrive pas à dire des choses avec des mots, on les chante. Je pense que je devrais l'essayer dans ma vie, parce que je pense que ça m'aiderait. (rires) Ce serait bizarre, car on me prendrait pour une folle. Mais dans les films, on peut le faire, ça passe. Au départ, cette chanson est utilisée comme une arme pour la garder. Il lui chante une chanson pour l'apaiser et l'amadouer, et elle rentre dans sa fiction à lui.
Qu'est-ce qui a porté votre choix sur Virginie Efira? C'est l'actrice de l'heure dans la francophonie et elle semble sans cesse trouver une façon de se renouveler.
Elle a de l'envergure et comme actrice, elle ne représente pas une fragilité première. Surtout qu'on a de l'empathie pour elle. C'est ce qu'il fallait. Je trouve qu'elle était parfaite pour le rôle et c'est pour ça que je l'ai écrit pour elle.
Et Melvil Poupaud? Il est à contre-emploi et totalement monstrueux...
Une fois que Virginie avait accepté le rôle, j'ai cherché qui pouvait être en face d'elle. Je savais qu'elle s'entendait bien avec Melvil. Melvil, c'est une sorte de Cary Grant. On ne s'attend pas à ce qu'il soit dangereux. Et il l'est. Ça fait longtemps que je voulais travailler avec lui. C'est un acteur que j'admire beaucoup.
Quels sont les films ou les cinéastes qui ont joué un rôle marquant dans votre cinéphilie?
Il y a Godard qui, pour moi, est un génie absolu. Je trouve qu'à chaque fois qu'on voit un film de Godard, on apprend quelque chose. C'est comme être dans un grand musée. C'est un immense artiste. Il y a aussi Pialat, Pedro Almodovar, Nanni Moretti, Ozu, Truffaut, Jacques Demy. Je me sens très proche de la façon d'Agnès Varda de faire du cinéma. Il y en a plein, mais à chaque fois, cela joue à des endroits très différents.
L'amour et les forêts prend l'affiche le 24 novembre.