Avec son prix Louis-Delluc et ses 12 nominations aux Césars, Le règne animal est le film français le plus plébiscité de la dernière année... après Anatomie d'une chute. Si Steven Spielberg refaisait les X-Men, cela ressemblerait sans doute à cette oeuvre intime et spectaculaire. Dans une société où des humains peuvent se transformer en mutants, un père (Romain Duris) tente d'éviter le pire pour son fils adolescent (Paul Kircher).
Dans le cadres des Rendez-vous d'Unifrance, Cinoche s'est entretenu avec son réalisateur et coscénariste Thomas Cailley, qui offre, une décennie après le triomphe des Combattants, un second long métrage d'une grande maîtrise.
Quel opus foisonnant! Il s'agit à la fois d'un film fantastique, d'un drame familial, d'un suspense écologique, d'un récit d'initiation sur le deuil et la différence...
J'avais très envie de parler de la relation entre un parent et un enfant. Dans cette relation, il y a ce truc très mystérieux de la transmission. Évidemment, les enfants apprennent de leurs parents, mais l'inverse est aussi vrai. Il y a également la question de ce qu'on lègue. C'est quoi hériter d'un monde qui bascule? Dans le film, pour des raisons mystérieuses, des humains commencent à se transformer en animaux et ça nous renvoie au monde dans lequel on vit. Qu'est-ce qu'on fait de cette planète qui est en crise, et comment on la lègue aux générations futures?
Qu'est-ce qui a porté votre choix sur Romain Duris et Paul Kircher (découvert dans Le lycéen)?
J'ai d'abord rencontré Paul. Ce que j'ai tout de suite aimé chez lui, c'est le fait qu'il y ait quelque chose d'hyper puissant et d'hyper fragile à la fois. Ce qu'il propose est tout le temps inattendu. Il y a quelque chose de sauvage et d'indompté, qui cadre à merveille avec ce personnage qui découvre sa liberté et sa puissance au fur et à mesure de l'histoire. Ensuite, il fallait trouver quelqu'un pour incarner le père. Romain s'est imposé très vite. Déjà, je trouvais qu'il y avait quelque chose de familier entre eux : peut-être une façon un peu commune de sourire ou de rire. Romain est un comédien que j'adore, que je trouve à la fois hyper généreux et inspirant. Après, c'est la magie du cinéma. Ça marche ou ça ne marche pas. On a fait un essai et cela a marché tout de suite. Ça se voyait qu'ils prenaient du plaisir, qu'ils n'avaient pas besoin d'aller très loin pour s'inventer dans cette relation de paternité et de filiation.
Le long métrage de super-héros est maintenant inscrit dans l'ADN du cinéma américain. Il y avait un désir de ne pas répéter une certaine formule?
En fait, je ne viens pas trop de cette culture-là. Je n'ai pas forcément vu beaucoup de films de Marvel. Les films américains fantastiques que j'ai aimés sont plutôt ceux de Spielberg, de Shyamalan. Ce sont des films ancrés sur les personnages. J'aime quand le genre permet d'explorer des choses afin de rendre l'histoire plus grande, plus émouvante et plus forte. Je n'aime pas trop l'exercice de style. La figure du super-héros ne m'intéresse pas beaucoup.
Cela transparaît à l'écran...
Un truc qu'on s'est dit assez rapidement, c'est quand un personnage se transforme et gagne quelque chose dans l'animalité, il doit perdre quelque chose en humanité. Le syndrome du super-héros est de garder son humanité et d'avoir en plus des pouvoirs. C'est ça qui fait que ce sont des surhommes. Mais finalement, cela les confine à une forme d'altérité qui est absolue, et ça nous confirme sur notre statut d'humain. On se dit que ce sont des demi-dieux, qu'ils ne sont pas comme nous. C'est pareil pour les monstres. On les regarde et on se dit qu'ils ne sont pas humains. Ce que je trouve intéressant, c'est que dans le concept de la mutation, on ne sait plus ce qu'il y a d'humain ou pas. On marche sur une frontière qui est hyper ténue, qui s'efface et se trouble. À quel moment on n'est plus vraiment le fils de quelqu'un? C'est cette zone grise qui est intéressante et qui n'existe pas trop dans les films de super-héros.
Image du film Le règne animal - Nord-Ouest Films
Vous mélangez les genres - drame, comédie, romance, suspense, action, fantastique, western, mélo... - comme rarement dans le cinéma français.
C'est vrai que c'est un truc qu'on voit davantage dans le cinéma asiatique. Il y a une facilité à mélanger le réel, le fantastique, l'intime et le spectaculaire. Je trouve cela hyper intéressant. Un des intérêts de mélanger les genres était de rendre le film plus réaliste. La vie est rarement d'une seule couleur. Il y a toujours plein de choses qui se mélangent... La surprise, c'est que cela n'a pas du tout été compliqué à monter. On n'a jamais chercher à faire de moyenne dans le film pour trouver une sorte de ton monochrome. Je me suis vraiment éclaté à faire ça et j'ai l'impression que le public s'y retrouve.
Visuellement, le film est très étonnant. La photographie, les costumes, les maquillages et les effets spéciaux sont particulièrement imaginatifs. Si ce n'est pas réussi, le récit devient ridicule. Alors que là, il est amusant et trépidant, mais également poétique, émouvant, tâtant régulièrement le réalisme magique.
C'est un pari vertigineux. Quand on était en train de préparer le film, on avait environ 20 ou 25 créatures. Ce qui était terrible, c'est que si on rate une seule créature, c'est tout le film qui part avec. Ce qui n'est jamais le cas dans un film classique. On peut rater une scène, ce qui peut être bien parce que ça rend la scène d'après encore plus intéressante. Là, il y a un truc hyper exigeant formellement. C'était passionnant à faire, mais j'avoue que le diable était dans les détails.
Votre film me rappelait notamment les chefs-d'oeuvre d'Hayao Miyazaki, The Host de Bong Joon-ho et Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin... tout en demeurant unique. Jusqu'à quel point on cherche à se débarrasser de ses influences ou, au contraire, on veut les embrasser?
Je travaille avec mon frère qui est chef opérateur. Au début, nous mettons sur les murs des choses qui nous intéressent et qui correspondent peut-être à une ambiance de scène. Il y a beaucoup de références, notamment les Miyazaki, Spielberg et autres Bong Joon-ho. Plus on avance et plus les murs sont tapissés de photos de repérages, de dessins, de storyboards. Il y avait même de l'art contemporain au niveau des créatures. Ce qui fait qu'à la fin, la grotte dans laquelle on travaillait n'avait plus grand chose de référentiel au cinéma. Cela n'empêche pas qu'on puisse retrouver du Miyazaki ou du Spielberg, mais ce n'est pas conscient.
Si vous pouviez vous transformiez en animaux, ce serait lequel?
Un frelon asiatique. C'est apte à la survie. Cela se déploie partout. (Rires)
Le règne animal prend l'affiche le vendredi 9 février.