France, 1870. Rosalie (Nadia Tereszkiewicz, qui incarnait la Babysitter du film de Monia Chokri) a caché à tout le monde - même à son nouveau mari, Abel (Benoît Magimel) - qu'elle est une femme à barbe. Un jour, elle commence à s'assumer... Sous la caméra de Stéphanie Di Giusto (La danseuse), cela donne un long métrage d'une grande beauté formelle, où l'élégante musique d'Hania Rani semble porter ses deux interprètes particulièrement investis.
Cinoche a échangé avec l'actrice et la réalisatrice dans le cadre des Rendez-vous d'Unifrance, à Paris.
On sent avec ce film un désir d'explorer ce qui nous rend humain.
Stéphanie Di Giusto : Oui. Ma volonté était de faire un film humaniste. Rosalie souffre d'hirsutisme. C'est un trouble génétique. Elle est née comme ça, elle n'a rien choisi. Pendant 25 ans, son père l'a rasée, cachée et empêchée d'être qui elle est vraiment. Maintenant, elle se cherche... Je suis pour un féminisme universaliste. Chacun est libre de s'autodéterminer, de savoir qui il est. J'ai l'impression qu'on vit à une époque très moralisatrice et réactionnaire. Je prône la nuance. Je pense que la liberté vient de la nuance. Sinon, quand vient le temps de choisir, on fait des listes, on met les gens dans des cases et on commence à être de l'ordre de l'autoritarisme.
Le long métrage aborde des sujets aussi importants que la différence, la tolérance et l'acceptation de soi, qui résonnent grandement dans le monde d'aujourd'hui...
Nadia Tereszkiewicz : Au départ, quand Rosalie porte la barbe, c'est un moyen d'avoir de l'argent pour aider le café d'Abel. Puis, elle découvre que c'est avec sa barbe qu'elle devient vraiment femme. C'est en assumant sa barbe qu'elle accède à sa vraie féminité, à ses propres désirs. Je trouvais intéressant qu'il y ait un endroit où il n'y a plus de question de genre. Elle fait fi des regards des autres. Pour les gens qui la rejettent, cela les ramène a leurs propres problèmes. C'est dérangeant de désirer quelqu'un qui ne correspond pas aux normes de la féminité. Est-ce qu'on a le droit de la considérer comme une femme alors qu'elle ne correspond pas aux standards exacts? Je trouve ça très intéressant de questionner ce que c'est d'être une femme... J'ai un copain pour qui il y a les hommes et il y a les femmes. Il m'a téléphoné après avoir vu le film et il m'a dit que ça l'avait profondément dérangé de déplacer son regard. Il a dû questionner son propre désir. Il m'a dit qu'il avait été vraiment très déstabilisé. On a tout gagné si on déstabilise les hommes!
Image du film Rosalie - AZ Films
Le désir est au coeur du récit. Comment avez-vous aborder l'érotisme?
Stéphanie Di Giusto : Avec Nadia et Benoît, on a beaucoup travaillé les scènes érotiques. Je voulais que ce soient des scènes qui sortent de l'ordinaire. Mais la vraie scène d'amour, ce n'est pas quand ils sont nus. Là, ils parlent plutôt de sentiments. La vraie scène d'amour se déroule dans cet atelier où, tout d'un coup, ils se prennent l'un et l'autre et on ne sait plus qui est l'homme et qui est la femme. C'est pour ça que je voulais vraiment que Nadia et Benoît ne se connaissent pas avant le film. Je voulais que tout soit neuf sur mon plateau. À chaque fois, j'ai volé des réactions de chacun. Benoît était désemparé. Il disait une phrase très belle: « Mais par où je vais passer pour pouvoir aimer cette femme? ». Je me suis servi de cette tension pour arriver à l'érotisme, un peu de la même manière que Jane Campion. Il fallait empêcher le contact, en montrer le moins possible. Le désir, c'est quoi? C'est de ne pas obtenir tout de suite ce qu'on veut.
Que l'on pense à La pianiste, De son vivant ou Pacifiction, Benoît Magimel a l'habitude d'incarner des personnages troublés et blessés. Il ne s'est pourtant pas autant dévoilé que récemment dans La passion de Dodin Bouffant et Rosalie...
Stéphanie Di Giusto : Il fallait quelqu'un de courageux pour accepter cette mise à nu. Ce n'était pas évident pour un acteur. Ce qui était génial avec Benoît, c'est qu'il a cette incarnation physique et intérieure, animale et sensible. Il est dans l'émotion pure en permanence. C'est ce qui était très important. Moi, je n'ai pensé qu'à lui. J'aime le charisme dans le cinéma. J'ai besoin de rêver. Quand on s'est rencontré, il avait tout de suite compris le personnage et il avait envie de cette prise de risques. Alors que d'habitude, il refusait toutes les histoires d'amour... Je sais que c'est quelqu'un de pudique. Entre les deux personnages, c'est l'homme qui se met à nu, pas elle. Il savait qu'il y avait ce challenge-là, et c'est ce qui l'excitait, car il ne s'est jamais dénudé dans un film. Il est toujours dans une vérité. Quand une scène ne convient pas, il va chercher, trouver le geste, la bonne respiration. C'est vraiment quelqu'un qui a la grâce!
Des Amandiers à L'île rouge, en passant par Babysitter, Mon crime et maintenant Rosalie, il y a une cohérence dans vos rôles. Ce sont des personnages qui cherchent à se rebeller du moule social en place...
Nadia Tereszkiewicz : Tous ces rôles questionnent la féminité, les stéréotypes, les normes. J'ai la chance d'appartenir à une génération où il y a de plus en plus de femmes qui réalisent et de rôles qui sont complexes et intéressants. On est en train de questionner les rapports hommes/femmes, les questions de genres... Je crois en le pouvoir du cinéma. Je ne crois pas que ça peut tout changer, mais ça peut questionner des choses, créer de nouvelles images féminines. Quand j'avais 15 ans, La vie d'Adèle est sorti et je n'avais jamais vu de ma vie de couples lesbiens. C'est un énorme choc pour ma génération. Plusieurs de mes amies ont fait des coming out l'année suivante. Peut-être qu'aujourd'hui, si une jeune femme à barbe voit Rosalie, cela pourrait l'aider. Je suis fier de participer à des projets qui changent la représentation des femmes.
Rosalie prend l'affiche le 26 avril.