Roulant sa bosse comme cinéaste depuis plus de 50 ans, Patrice Leconte a tout fait, de la comédie culte Les bronzés aux drames à costumes comme Ridicule, qui lui a permis de mettre la main sur les César du meilleur film et celui du meilleur réalisateur.
Avec son plus récent long métrage, Maigret, il revisite le célèbre commissaire (Gérard Depardieu) imaginé par Georges Simenon, le plongeant dans une nouvelle enquête qui est inspirée de Maigret et la jeune morte.
Nous avons rencontré le metteur en scène de 74 ans lors de son passage à Montréal, dans le cadre du Festival Fantasia...
Maigret est une des figures les plus connues du genre policier. Il a été adapté à de nombreuses reprises au cinéma et à la télévision, en France comme ailleurs. Ce n'est pas un peu paralysant?
Maigret m'a toujours accompagné. Je le lis régulièrement depuis le début de l'adolescence. Je crois sincèrement que si on est intimidé par le fait que de nombreux cinéastes ont déjà fait des adaptations, on ne peut plus rien faire. Si on a un peu confiance dans sa vision personnelle, alors ça donne des ailes. Il faut se dire : « Je vais vous montrer ce que je sais faire, vous proposer mon Maigret à moi ».
Ce n'est pas votre première transposition d'un roman de Georges Simenon. Vous avez réalisé par le passé l'excellent Monsieur Hire. Quelles sont les règles d'une bonne adaptation, ce qu'il faut respecter et éviter?
Il faut autant adapter que adopter. Si on n'est qu'au service du bouquin, avec le bouquin dans la main gauche et la caméra dans la main droite, alors on n'est qu'illustrateur. Si on adapte un roman, c'est parce qu'il y a des choses qui entrent en résonance, en écho avec des choses à vous. On se retrouve dedans. C'est parce que l'histoire, les personnages, les situations me concernent. Je ne pourrais pas adapter un roman dont je me sentirais totalement étranger.
Le projet doit être personnel.
Tout à fait. Quand on a adapté Maigret et la jeune morte, on a pris beaucoup de libertés. Le fils de Georges Simenon nous a dit cette chose absolument formidable : « Vous avez pris des libertés incroyables avec le roman de mon père. Mais sans le roman de mon père, vous n'auriez pas pu écrire ça ». C'est le meilleur résumé possible de comment faire une adaptation. Il n'y a pas de recette. Je pense vraiment que ce Maigret-là, il me ressemble autant qu'il ressemble à Simenon.
Au départ, vous avez envisagé Daniel Auteuil dans le rôle titre...
Oui. On se connaît bien, on s'estime beaucoup. Il a pris une forme de corpulence qui pouvait ressembler à Maigret et il était enthousiasmé à l'idée. Puis il a calé, il ne s'y voyait plus. Je trouve qu'il nous a vraiment fait un cadeau formidable en refusant le film. Parce que ça faisait longtemps, au fond de moi-même, que je me disais que j'aimerais beaucoup faire du cinéma avec Depardieu. C'est grâce à Auteuil qu'on a pu en faire ensemble et je le remercie.
Selon vous, quelle énergie apporte Gérard Depardieu au personnage?
Il amène une forme de pesanteur. Il amène aussi une forme de douceur et une humanité formidable au personnage. Je trouve que Depardieu, tel que je le connais maintenant, et que Maigret, tel que je l'ai toujours connu, ont des tas de points communs. La manière qu'ils ont d'être un et l'autre donne une forme de silence attentif. Ils laissent venir des choses, se trompent, n'ont pas de certitudes. Tout ça me touche beaucoup. C'est une forme de anti-héros.
Comment on accorde ses violons avec un tel monstre sacré?
Quand Depardieu a lu le scénario, on n'a même pas eu besoin d'en parler. Dès le premier jour de tournage, on était sur la même longueur d'onde. Il a une intuition du jeu, de la situation, du rythme qui est inouïe. Je trouve que Gérard Depardieu est vraiment formidable dans ce film et qu'on ne l'a pas vu comme ça depuis une éternité. Je crois surtout qu'à la base, il était heureux de faire ce film.
Maigret est votre 30e film. Vous avez abordé plusieurs genres dans votre carrière, comme le drame psychologique, le suspense et même l'animation. On vous associe pourtant éternellement aux comédies et surtout celles des Bronzés...
Je suis très fier d'avoir fait ces films-là. Il y a des films que j'aurais pu ne pas faire, que j'ai fait pour les mauvaises raisons. Mais heureusement, il n'y en a pas trop. J'aime bien faire des choses que je ne suis pas certain de savoir faire. C'est lorsqu'on est trop sûr qu'on se prend les pieds dans le tapis... J'adore faire des choses très différentes, parce que c'est une question de curiosité d'esprit et c'est amusant de ne pas creuser toujours le même sillon.
Votre carrière s'échelonne sur plusieurs décennies. Que pensez-vous de l'état actuel du septième art?
C'est délicat. Le fameux « c'était mieux avant » est un truc de vieux con. Mais c'est vrai quand on voit la situation au cinéma. J'ai travaillé avec des producteurs qui n'étaient pas frileux du tout, qui avaient le culot d'entreprendre des trucs originaux, qui avaient le poids et la conviction. Ces producteurs existent moins. Je ne suis pas pessimiste, ce n'est pas ma nature. Mais je pense qu'il y a beaucoup de films que j'ai fait et que je ne pourrais plus faire aujourd'hui. Le paysage a un peu changé. Je sais qu'il ne faut pas généraliser, mais il y a quelque chose qui fait qu'on produit trop vite et trop facilement des petites comédies pas très intéressantes, pas très bien écrites. En France, en tout cas. Parce que dans d'autres pays, on voit émerger des cinémas formidables. Il y a vraiment des leçons à apprendre. Je nous trouve - et je me mets dans le tas - un peu paresseux dans l'imagination, dans les risques qu'on pourrait prendre.