Spécialiste des récits féminins où leurs héroïnes tentent de prendre leur vie en main, Martin Provost est de retour avec Bonnard, Pierre et Marthe. Cette dernière (Cécile de France) vit dans l'ombre de son mari Pierre (Vincent Macaigne), un important peintre de la fin du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle, et elle aimerait être bien plus qu'une simple muse.
Cinoche s'est entretenu avec le réalisateur et scénariste dans le cadre des Rendez-vous d'Unifrance, à Paris.
Après le triomphe de Séraphine en 2008 (lauréat de sept Césars, dont celui du Meilleur film), vous retournez à la peinture.
Oui. À la suite du succès de Séraphine, la petite-nièce de Marthe Bonnard voulait que je fasse un film sur sa grande tante, car elle trouvait qu'elle n'avait pas la place qu'elle méritait dans l'Histoire de l'art. Mais moi, je n'avais aucune envie de faire un autre film sur la peinture. Pendant le confinement, j'ai repensé à tout cela. Pierre Bonnard habitait et peignait près de l'endroit où je vis, Monet aussi. L'occasion était belle de rendre hommage à l'endroit où je vis depuis 25 ans. J'ai pris un livre et je suis tombé sur un portrait de Marthe. Il y a quelque chose qui apparaissait de la personnalité de Marthe dans la peinture. Je me suis dit que c'est intéressant de voir comment le mensonge dans un couple transpire dans l'oeuvre. Pour moi, ce film n'a rien à voir avec Séraphine. C'est plus une histoire d'amour.
Une histoire d'amour qui en dit beaucoup sur son époque. Marthe est le modèle et la muse de Pierre. Mais au final, c'est lui qui a la notoriété et l'argent. Tandis que Marthe se sacrifie, tentant tout de même de s'émanciper.
La beauté du couple réside dans la durée. C'est ce que j'ai voulu montrer. Marthe est restée. Mais il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Elle n'avait pas le choix. Elle vient d'un milieu très modeste. Elle va s'accrocher à cet homme, s'inventer une personnalité et mentir pour vivre une vie rêvée. Sauf que c'est Pierre qui était libre, pas Marthe. C'est ce qui est arrivé à ma mère. Elle était peintre. Elle avait été reçue première au concours d'Arts décoratifs à 18 ans, en n'ayant rien préparé. C'était une femme exceptionnellement douée pour tout. Et puis elle a rencontré mon père qui était un bel officier, qui rentrait de la guerre d'Indochine. Il ne l'a épousée qu'à la condition express qu'elle cesse de peindre. Mariée, trois enfants, tout était terminé. Plus de création.
Image du film Bonnard, Pierre et Marthe - Sphère Films
L'alchimie entre Pierre et Marthe représente l'âme du film. Pourquoi avez-vous décidé de réunir Vincent Macaigne et Cécile de France? L'idée n'était pas nécessairement évidente sur papier.
J'avais déjà Vincent en tête. Il pouvait être Bonnard. Que ce soit mes producteurs ou mes financiers : personne n'y croyait. Moi, je savais qu'il pouvait y arriver, parce qu'il avait une nature très poétique. Je savais qu'en lui coupant les cheveux, en le faisant maigrir et en le transformant complètement, il pouvait y arriver. Ce qu'a fait Vincent est magistral. Il est hallucinant! J'avais presque envie d'arrêter de tourner pour le regarder à tel point j'étais fasciné.
Et Cécile?
Ce n'était pas du tout mon idée. Ma chef de casting revenait chaque fois à la charge. Je la trouvais trop âgée. Mais lorsque je l'ai rencontrée, ce fut une évidence. Je n'ai plus hésité une seconde. Il y a beaucoup de lumière chez Cécile. Elle me disait qu'elle en avait marre de toujours jouer les gentilles, les braves filles. C'était peut-être le moment pour Cécile de s'attaquer à un personnage beaucoup plus vaste et costaud qu'elle avait déjà fait jusqu'à maintenant. Pour moi, cela me permettait de sortir de ma zone de confort et de créer, d'inventer, en travaillant avec quelqu'un qui ne correspondait pas nécessairement à l'idée que je m'en faisais.
Par ses images fulgurantes qui rappellent parfois des peintures vivantes, sa musique obsédante et ses touches poétiques, votre mise en scène est loin de s'apparenter au simple biopic...
Je ne fais pas de biopic. Je fais des films de cinéma. Je ne saurais pas faire un biopic. C'est un genre que je déteste. Je ne peux pas entrer dans un moule. Je suis très à part dans mon métier. Je vis à la campagne, je ne suis pas dans les soirées, je ne sors pas. Je pense que mes films sont empreints de ça. Je cherche à montrer qu'il est possible, à l'instar de Séraphine et de Violette, de vivre un pied hors du monde, d'être en marge. Pour ce film-là, j'ai travaillé énormément ma mise en scène. Elle était extrêmement précise. C'était d'autant plus important que je n'ai pas eu un gros budget. Je n'avais pas le droit à la paresse ou à l'erreur.
Que l'on pense au Ventre de Juliette, Séraphine, Où va la nuit, Violette, Sage femme, La bonne épouse et maintenant Bonnard, Pierre et Marthe, les femmes sont toujours au coeur de vos films.
Cela vient de ma mère. Elle est très âgée et je m'en occupe. Je vois cette femme qui arrive à la fin de sa vie et qui va bientôt mourir. Quelque chose s'est bouclé avec ce film, autour de cette vie commune et autour de l'art. Mon prochain film se concentrera sur un homme.
Quels cinéastes ont été importants pour vous?
Bergman est celui qui m'a le plus marqué quand j'avais 16 ans. Il y a des images dans Bonnard, Pierre et Marthe qui sont en lien avec Cris et chuchotements. Enfant, j'ai baigné dans le cinéma. Mon grand-père faisait des films en amateur. J'allais toujours au cinéma pour voir deux représentations par jour. Cela a été autant Tarkovski que Kurosawa, Woody Allen, Fellini et Bresson. J'ai été marqué par plusieurs metteurs en scène. C'est peut-être Alain Cavalier qui m'est le plus resté. J'aime beaucoup son parcours, sa démarche, sa façon de s'éloigner du système tout en demeurant dedans.
Bonnard, Pierre et Marthe prend l'affiche au Québec le vendredi 31 mai.