La chanteuse Louane Emera (La famille Bélier) se glisse dans la peau de Marie-Line, une jeune femme de 25 ans qui tire le diable par la queue. Condamnée pour coups et blessures, elle perd son emploi et ignore comment s'occuper de son père dépressif. Jusqu'au jour où le juge (Michel Blanc) qui s'est occupé de sa cause lui propose de devenir son chauffeur.
Réalisateur d'oeuvres aussi différentes que Profession d'un père, L'homme qui rit et Une famille à louer, Jean-Pierre Améris propose avec Marie-Line et son juge une sympathique comédie dramatique peuplée de personnages attachants sur ces rencontres qui peuvent changer une existence à jamais.
Cinoche a pu discuter avec le cinéaste dans le cadre des Rendez-vous d'Unifrance, à Paris.
Qu'est-ce qui vous a poussé à adapter le livre Changer le sens des rivières de Murielle Magellan?
J'ai lu le roman à sa sortie, en 2019, et j'ai tout de suite senti que ça me parlait. Ça traitait de choses dans lesquelles je me reconnaissais, comme le déterminisme social. Lorsqu'on naît dans un milieu très modeste comme ce fut le cas pour moi, est-ce que la vie est toute tracée? Ou peut-on changer le sens des rivières? Adolescent, quand je me suis pris de passion pour le cinéma, mon père me disait, pas méchamment : « Oublie, ce n'est pas pour nous ». C'est une phrase terrible. Pour faire du cinéma, il faut venir d'un milieu riche, connaître du monde, être le « fils de ». Il avait un vrai désespoir social. On ne change pas de classe sociale. Ma passion était assez forte pour que je ne l'écoute pas... et il était content, jusqu'à sa mort, de voir que je faisais des films. J'ai pu inverser le sens des rivières.
Les personnages de vos films sont souvent issus de la classe populaire.
Tout à fait. Je ne sais pas ce qu'on dit au Québec, mais ici, on les appelle « les petites gens ». J'essaie toujours d'en montrer dans mes films. Ils ont une grandeur. Je trouve que cette Marie-Line a quelque chose d'héroïque. Elle a beaucoup d'esprit. Elle va de l'avant malgré les difficultés.
Comme dans Les émotifs anonymes ou Marie Heurtin, elle va faire une rencontre qui va bouleverser sa vie.
J'aime filmer des gens qui s'aident à s'en sortir. Je crois que je filme toujours des histoires de libération de gens enfermés - dans une classe sociale ou un handicap - et qui, grâce à la rencontre avec quelqu'un, vont s'en sortir. Je veux aller vers le positif. C'est quelque chose qui compte dans la vie. Jusqu'à mes 12 ans, j'avais de grandes difficultés à lire. Je n'arrivais jamais à aller au bout d'un livre. L'importance et la chance d'une rencontre - comme dans Marie-Line et son juge - a été pour moi un professeur de français qui m'a donné le goût de la lecture. Je ne croyais pas que la culture, par exemple les livres de Victor Hugo, était pour moi. Au contraire, cela m'a parlé, aidé et libéré.
La culture devient source de conflits auprès d'Alexandre, l'amoureux de Marie-Line. Alors que le premier aime le cinéma et les films d'auteurs, la seconde préfère la télé-réalité...
La culture est un moyen d'émancipation. Ça peut aussi être un moyen d'aliénation. C'est terrible quand on se retrouve à un dîner et qu'on n'a pas la culture ou les codes des gens qui vous invitent. Cette absence de culture peut être humiliante et venir tout empoisonner. Ce garçon n'est pas pervers ou méprisant. Mais il voit quand même qu'elle ne connaît rien à sa passion qu'est le cinéma et ça finit par créer de la honte auprès de ses copains.
C'est intéressant que ce personnage soit incarné par Victor Belmondo, le petit-fils du légendaire Jean-Paul Belmondo. Cela vous permet de rendre hommage à la Nouvelle Vague.
Bien sûr. C'est une question de transmission. Quand on le fait, il faut être malin et ne pas imposer. C'est compliqué... J'ai un beau-fils, et quand je voulais lui faire découvrir un classique, je lui disais : « Tu vas voir, c'est magnifique, c'est un chef-d'oeuvre ». On les écrase. Il n'a pas accroché du tout à Citizen Kane... Il faut juste espérer et de temps en temps, un film - comme Les 400 coups, qui est intemporel - finit par te parler et ouvrir des choses en toi.
Une scène du film Marie-Line et son juge - FunFilm Distribution
Le juge n'est pas un Pygmalion moderne et il n'est pas là pour faire l'éducation de Marie-Line.
En effet. C'est un rapport plus égalitaire. Il ne lui apprend rien d'autre que la curiosité. Tu es intelligente, vive et sois curieuse. C'est le plus bel enseignement que l'on peut recevoir.
L'idée d'agencer Louane à Michel Blanc peut paraître saugrenue, mais le duo fonctionne.
J'aime les rencontres improbables. J'ai opté pour des acteurs qui sont un peu aux opposés. Celle qui est venue en premier, à l'écriture du scénario, est Louane. J'ai repensé à La famille Bélier, bien sûr. Mais aussi à son parcours, à sa vie. Je ne la connaissais pas. Elle a quelque chose du personnage. Cette enfance rendue difficile par l'hyperactivité. À 15 ans, elle perd à la fois son père et sa mère. Il y a ce deuil et tous ces coups sur la tête. Mais en même temps, elle est transportée par une pulsion de vie énorme. Je voyais Marie-Line comme ça. C'est une fille qui tombe et se relève. C'est écrit pour Louane. Si j'avais une fille, je veux bien Louane. (Rires)
Et Michel Blanc?
C'est venu un peu après, en réfléchissant à cette scène dans la petite voiture. Ce sont deux corps différents. Elle est plus grande que lui. Elle a l'énergie et il est très rentré. C'est ce qu'on recherche quand on fait le casting. Ce n'est pas tellement la personne toute seule, mais quelle étincelle cela va provoquer en rencontrant son camarade de jeu. Cela a fonctionné dès la première rencontre entre eux. Louane est vraiment adorable, généreuse, intelligente. Et elle a tout de suite vu que Michel, comme souvent chez les comiques, est très angoissé... et elle pouvait le prendre avec humour.
Vous avez tourné votre premier long métrage (Le bateau de mariage) il y a 30 ans et Marie-Line et son juge représente votre 14e film...
Je ne me sens jamais aussi bien que quand je tourne un film. Ma passion, c'est la mise en scène. J'en ai besoin. À 62 ans, ce qui reste très vivant, c'est le désir de faire des films et de transmettre quelque chose. Que le spectateur ou la spectatrice sorte du film galvanisé, avec une envie d'en découdre avec la vie. Le cinéma m'a vraiment aidé quand j'étais adolescent, pendant une époque qui n'était pas facile. Je rentrais complètement déprimé dans les salles de cinéma et j'en ressortais avec du désir de vivre.
Quels sont les films ou les cinéastes qui vous ont marqué?
Le cinéma m'est tombé dessus à l'adolescence. Je pense notamment à François Truffaut. L'enfant sauvage me parlait. Mais aussi La chambre verte, que j'ai vu trois fois de suite à l'âge de 15 ans. Quelque chose me touche chez lui. Il me bouleverse. Quand j'ai découvert Alfred Hitchcock, c'est pour la vie. Après, il y a tout le grand cinéma : Charles Chaplin, Federico Fellini, etc. C'est vraiment très riche et inépuisable.
Marie-Line et son juge prend l'affiche au Québec le 28 juin.