Variety l'a nommé dans sa liste des 10 réalisateurs à surveiller de près. Le cinéaste turco-allemand Ilker Çatak entre dans la cour des grands avec son quatrième long métrage, La salle des profs. Dans ce thriller angoissant, une professeure (Leonie Benesch) tente de faire la lumière sur les vols qui sévissent à son école. Mais ce qu'elle découvre dépasse l'entendement...
Cinoche.com s'est entretenu avec le metteur en scène en visioconférence.
Que l'on pense à Un monde de Laura Wandel, Monstre d'Hirokazu Kore-eda et Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan, les longs métrages passionnants sur l'école ne manquent pas ces dernières années. De quelles façons sentez-vous que l'école est un miroir de la société?
L'école est un microcosme de la société. C'est une société miniature qui répond aux mêmes règles. Il y a quelqu'un en chef : le directeur ou la directrice. Il y a des gens qui ont des pouvoirs : les professeurs. Puis il y a le corps étudiant et le journal étudiant. Avec mon coscénariste Johannes Duncker, nous avons effectué beaucoup de recherches et nous avons découvert que chaque école possède sa propre politique. C'est comme un état qui opère de façon différente de l'école d'à côté. Par exemple, lorsqu'on regarde l'excellent film Entre les murs de Laurent Cantet, on découvre un véritable portrait de la société française. Lorsqu'on parle d'école, on parle impérativement du monde qui nous entoure.
Il s'agit d'un drame complexe et ambiguë. Il y a cette jeune professeure intègre et idéaliste qui cherche à rétablir la vérité, et peut-être sauver un élève racisé accusé de vols. Mais elle est confrontée au système scolaire allemand, aux parents, à ses collègues et aux autres élèves. Peu importe le bien qu'elle cherche à faire, cela ne se concrétise jamais. Comme quoi la quête de vérité ne s'avère jamais simple...
J'adore ce proverbe qui dit : « Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions ». C'est une des idées derrière le film. Tu peux penser bien faire, mais cela ne se manifeste pas nécessairement par des bonnes actions. Je trouvais que c'était des conflits et des contradictions qui étaient intéressants à aborder. Plus la professeure essaie de bonne foi de rétablir la situation, plus elle l'empire! Ce qui est bien, c'est qu'en regardant le film, les gens ne peuvent pas dire où elle s'est trompée. C'est dans l'accumulation de petites actions qui font soudainement boule de neige. L'être humain est imparfait, il fait des erreurs et c'est ce qui le rend si fascinant.
Pourquoi avoir décidé de traiter ce drame comme un suspense anxiogène? Car la musique stressante et le format carré de l'image contribue au climat d'étouffement. L'héroïne erre d'ailleurs dans les dédales labyrinthiques de l'école...
Je n'étais pas au courant avant de voir le film. C'était des choix esthétiques d'utiliser la musique et de filmer de cette façon-là. Avec mon directeur de la photographie, nous avons regardé ce merveilleux film de Gus Van Sant, Elephant, et nous voulions filmer un peu de la même manière. Je ne savais pas que cela allait donner un sentiment de thriller, mais je suis heureux que ça fonctionne.
Votre film me rappelle ceux d'Asghar Farhadi (Une séparation) et de Cristian Mungiu (4 mois, 3 semaines, 2 jours) avec ses nombreux dilemmes moraux.
Peut-être. Les cinéastes sont des êtres humains. On regarde plein de choses et on copie. C'est comme ça qu'on apprend à parler. Moi, c'est en regardant des films que j'ai appris à faire des films. Dans ce film, il y a de nombreuses références et influences. On parlait de Gus Van Sant tout à l'heure. Mais il y a plein de choses. Par exemple, The Favourite de Yorgos Lanthimos m'a beaucoup influencé.
Une scène du film The Teachers' Lounge - Métropole Films Distribution
Leonie Benesch est sublime dans le rôle principal.
Je pense que c'est la meilleure actrice de sa génération. Cela faisait longtemps que je voulais travailler avec elle. Je la trouvais brillante dans Le ruban blanc de Michael Haneke. Bon, c'est facile d'être brillant dans un film d'Haneke. Mais elle est brillante dans tout ce qu'elle fait. Je me demandais pourquoi on ne lui confiait jamais de rôles principaux... C'est vraiment l'âme du film. Elle EST le film. J'espère que les gens vont la découvrir et vouloir travailler avec elle.
Depuis sa présentation à la Berlinale l'année dernière, votre film a eu un beau parcours, mettant la main sur cinq prix aux German Film Awards 2023 (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario, meilleur montage et meilleure actrice principale pour Leonie Benesch).
C'est un film universel qui semble parler à plein de monde. Tout le monde est allé à l'école et/ou a un enfant qui va à l'école. C'est aisé de se reconnaître dans ce professeur qui transmet et qui cherche à faire le bien. Puis il y a ce petit garçon qui tente de protéger sa mère. Ce ne sont que des sujets universels. Mais en le faisant, je ne savais pas à quel point le film allait réussir à transcender la frontière allemande.
Quels cinéastes ont forgé votre filmographie?
Il y a plusieurs réalisateurs qui ont été importants pour moi. En Turquie, il y a eu Nuri Bilge Ceylan. En Allemagne, c'est Christian Petzold, Maren Ade, Fatih Akin. Aux États-Unis, je dirais Paul Thomas Anderson, Gus Van Sant, David Lynch, Steven Soderbergh, Eliza Hittman. Sur le plan francophone, je me dois de mentionner Jacques Audiard, Xavier Dolan, François Truffaut et Jean-Luc Godard. Puis il y a eu, évidemment, Werner Herzog et Wim Wenders. Tous ces gens ont eu un impact sur moi. Il y a deux jours, j'ai vu et parlé à Wim Wenders. J'ai grandi avec ses films. À l'âge de 20 ans, je ne savais pas si, un jour, j'allais faire des films. Je me pince encore pour être certain que je ne rêve pas.
La salle des profs prend l'affiche au Québec le vendredi 26 janvier.