Il y a dix ans, Chloé Robichaud marquait à sa façon le cinéma québécois avec Sarah préfère la course, un film rafraîchissant qui s'est retrouvé à Cannes. Pour Les jours heureux, elle retrouve son alter ego Sophie Desmarais qui incarne une cheffe d'orchestre qui tente d'échapper à l'influence toxique de son père et agent (Sylvain Marcel).
Cinoche.com. s'est entretenu avec la cinéaste au sujet de ce drame qui met la musique classique sur un piédestal.
Après le sport (Sarah préfère la course) et la politique (Pays), tu parles d'un autre milieu - celui de la musique classique - qui n'est pas traditionnellement féminin.
J'aime qu'on voit des personnages féminins dans des positions qu'on est moins habitués. Je trouve que ça donne des modèles à l'écran qui sont différents, qui font du bien. Ça peut avoir une belle influence positive. C'est un reflet aussi de la société, et je pense qu'il faut l'utiliser intelligemment. Je me dis que s'il y a une jeune fille qui voit le film et qui se dit : « Ah, j'ai un intérêt pour la musique et je n'ai jamais pensé que je pouvais être cheffe d'orchestre », déjà c'est quelque chose d'assez puissant.
On dit souvent que le cinéaste est comme un chef d'orchestre. C'est lui qui dirige la troupe. Est-ce que tu sens que tu as peut-être fait un film sur toi?
Ce n'est pas une autobiographie, mais je pense que j'y ai mis beaucoup de mon bagage. Par exemple, comme artiste, il faut juste écouter ses intuitions. J'avais un côté un peu première de classe où je voulais plaire. Je voulais plaire aux critiques, au public. À un moment donné, il faut que tu te rendes compte que la première personne à qui tu dois plaire, c'est toi. Tu dois être en connexion avec ce que tu as à raconter, et le reste va suivre.
C'est un long métrage sur le contrôle, alors que l'héroïne doit apprendre à se faire confiance pour se libérer...
Oui. C'est un film sur la libération de ce que les gens vont penser et sur la libération du poids du passé. C'est également un film sur le contrôle, et je le sentais dans la réalisation aussi. Je suis très fière de ce que j'ai fait avant, mais j'étais plus dans le contrôle. Auparavant, mon travail était beaucoup plus symétrique, dans la rigidité des lignes. On dirait que dans Les jours heureux, j'ai un peu brisé les lignes. La caméra est plus à l'épaule. Je suis moins dans cette recherche de perfection, de symétrie. J'ai accepté les imperfections. Je pense que c'est cohérent aussi avec l'endroit où je me sens aujourd'hui, comme réalisatrice.
Avec Les jours heureux, tu romps quelque peu avec Pays et Sarah préfère la course. Le film est plus accessible et généreux, alors que tu tends davantage vers l'émotion.
Dépendamment de ton bagage personnel, de ce que tu vis et d'où tu es dans ta vie, je pense que tu peux aller chercher dans ce film ce que tu as besoin d'aller chercher. C'est pour ça que j'ai envie de faire du cinéma. Cela me fait du bien, le cinéma. Des fois, je sors d'un film et ça me parlait d'une chose dont j'avais besoin qu'on me parle. Et je ne m'en étais même pas rendu compte. Ça vient réveiller quelque chose de mon inconscient. J'avais envie de faire ça. Et j'avais envie de rejoindre les gens. On est privilégié de faire ce métier-là. Mais je pense que, des fois, je me lassais de faire des films qui étaient si peu vus. La vérité, c'est que j'ai envie d'ouvrir mon cinéma. D'être plus généreuse, plus à l'écoute du public pour le rejoindre. J'ai envie qu'il y ait une communication entre le public et moi.
Une scène du film Les jours heureux - Maison 4:3
Les jours heureux prend l'affiche après Tár et Divertimento, deux films qui se déroulent également dans l'univers de la musique classique. Tu penses que les gens vont comparer?
Nécessairement. Mais ce ne sont pas des choix que j'ai faits. Quand j'étais en tournage des Jours heureux, je n'avais aucune idée de l'existence de Tár et de Divertimento. Pour avoir vu Tár, je pense qu'on a des choses complètement différentes à offrir. Sur papier, c'est vrai qu'il y a une cheffe d'orchestre lesbienne et qu'il y a des relations toxiques. Mais ce sont deux films différents. La musique prend une place plus importante dans Les jours heureux. C'est réellement un personnage. Je pense que les deux films peuvent être complémentaires.
Il n'y a que ton film qui compte sur l'expertise du chef d'orchestre Yannick Nézet-Séguin. Comment s'est passé la relation avec lui?
Très bien. Yannick est quelqu'un de vraiment généreux. Je l'ai approché quand j'étais dans la première version dialoguée du scénario. Je n'avais même pas l'intention de lui demander d'être consultant. Je voulais juste poser des questions. Il était tellement emballé par le projet, et c'est lui qui, sur un plateau d'argent, m'a demandé : « Veux-tu que je sois consultant musical? Est-ce que tu as besoin d'un coach pour Sophie? Est-ce que tu as besoin d'un orchestre? » Oui, oui, oui! Je suis contente, parce que je voulais atteindre un degré de réalisme qu'on a rarement atteint avec des films de ce genre-là. Les gestes de Sophie, ce sont vraiment les vrais gestes. Il y a une rigueur dans ce film-là qui est bien réelle, et c'est beaucoup grâce à l'apport exceptionnel de Yannick.
Tu renoues avec Sophie Desmarais, une décennie après Sarah préfère la course, qui a lancé vos carrière respectives. Comment c'est de la retrouver?
Ce qui est fou, c'est qu'on ne s'est jamais perdues de vue. C'est une grande amie dans ma vie. Ces dix années-là, on les a aussi traversées en amitié. Mais c'est vrai que sur le tournage, il y avait quelque chose d'émouvant de voir le chemin parcouru... L'expérience de Sophie a fait que tout ce talent-là s'est amplifié. On a tellement une belle connexion et une belle chimie qu'on n'a pas peur de se challenger. On a vraiment une belle relation d'honnêteté, d'authenticité. Je pense que ça pousse les choses beaucoup plus loin. Surtout qu'elle s'est donnée complètement pour ce rôle-là. C'était deux ans de travail en amont.
Les jours heureux prend l'affiche partout au Québec le vendredi 20 septembre.