Révélée au cinéma en 1985 dans L'effrontée de Claude Miller, Charlotte Gainsbourg s'est bâti une carrière sans compromis, se laissant guider par ses seules envies. Celles de l'amener ailleurs et de ne jamais se répéter.
Dans Les passagers de la nuit, elle trouve un personnage inédit dans sa riche filmographie : une mère monoparentale qui arrive à subvenir aux besoins de sa famille en décrochant un emploi dans une radio de nuit.
Nous l'avons rejointe à Paris afin qu'elle nous parle de ce magnifique film de Mikhaël Hers...
Pour quelles raisons avez-vous décidé de participer à ce projet?
J'ai adoré le précédent film de Mikhaël, Amanda. Le scénario de Les passagers de la nuit m'avait beaucoup touchée. Il était séduisant, très particulier. C'est une histoire sensible et très banale, finalement. J'étais très curieuse de rencontrer le réalisateur. Ce n'est pas qu'il avait besoin de me convaincre, mais je voulais savoir à qui j'avais affaire. Il s'est révélé être quelqu'un de singulier, de très particulier, qui était très inspirant et très mystérieux, timide aussi. Je ne suis plus timide aujourd'hui. Mais quand je rencontre quelqu'un de très timide, ça me renvoie à un passé pas si lointain. Du coup, on n'arrivait pas trop à se parler. C'était assez marrant les premiers rendez-vous. C'était son producteur qui parlait beaucoup plus que lui!
Le cinéma de Mikhaël Hers est reconnaissable entre tous. Malgré les thèmes graves qui y sont abordés, il privilégie la lumière, la poésie, la douceur...
C'est ce que je trouvais très émouvant en voyant le film. Il s'intéresse aux non-drames. Tous ces drames se déroulent : mon personnage se fait quitter au début de l'histoire, elle ne trouve pas de job, elle n'a pas d'argent, elle ne sait pas comment s'occuper de ses enfants, elle fait des boulots la nuit et le jour, elle a eu un cancer, etc. Mais on ne les voit jamais. Le film se déroule après ou entre deux drames. Ça le rend très particulier.
L'univers de la radio va sauver votre personnage. C'est un médium souvent associé à la voix. D'ailleurs, vous avez une voix unique et lorsque votre personnage parle, il semble sans cesse chuchoter, murmurer, susurrer. Est-ce que le réalisateur vous a demandé de parler d'une certaine façon?
C'est vrai que Mikhaël est très musical. Il parle tout le temps de musique... J'avais l'impression d'avoir un personnage qui me permettait de revenir à ma timidité d'avant, quand j'étais plus jeune. Mais non, je n'ai pas eu d'indications de sa part. Dans la vie de tous les jours, j'ai un plaisir énorme à utiliser ma voix. Et je ne parle pas quand je chante. J'ai découvert cet univers de voix parlée.
Vous côtoyez Emmanuelle Béart, qui campe une animatrice radiophonique chevronnée...
Oui. On avait déjà joué ensemble dans La bûche de Danielle Thompson, avec une actrice formidable qui s'appelle Sabine Azéma... Emmanuelle, je l'adore! On a vécu la même époque et on a les mêmes références.
Le film se déroule à Paris dans les années 1980, pendant le règne de François Mitterand. Qu'est-ce que vous retenez de cette décennie qui a souvent mauvaise réputation?
Pour moi, ce sont de bonnes années. Ma mère [Jane Birkin] était engagée, très militante. C'était important pour la France de passer de la droite à la gauche. Mais les années 80, j'ai surtout de grands souvenirs avec mon père [Serge Gainsbourg]. Je le voyais le week-end, j'étais dorlotée. C'est une enfance que j'ai adorée pour tout ce que j'ai vécu avec mon père. J'avais de la tendresse pour cette période et le film me rappelait une époque révolue.
C'est un film un peu proustien sur le temps qui passe, sur ce qu'on a fait et qu'on aurait pu faire. Car un jour on se réveille, on est vieux et les enfants ne sont plus à la maison. C'est quelque chose qui vous fait peur de ne pas profiter suffisamment de votre vie?
Oui. On ne profite jamais assez de son existence. Je suis quelqu'un de très nostalgique dans la vie. Je ne profite pas du moment présent. Je suis plus dans mes pensées, dans le passé... Une fois, j'ai eu un accident très grave. Je suis passée très proche de la mort et je me disais que j'allais en profiter. Mais non. On oublie la gravité, la chance qu'on a. On oublie les moments qui sont tellement beaux, qui sont tellement importants. En même temps, c'est bien d'être inconsciente. Il ne faut pas seulement être dans le moment présent. Ça peut être accaparant.