Les films de vampires se suivent et se ressemblent? C'est que vous n'avez pas encore vu Vampire humaniste cherche suicidaire consentant. Dans ce premier long métrage de la Québécoise Ariane Louis-Seize, qui a été récompensé à Venise (prix de la Meilleure réalisation de la section Giornate degli Autori), un vampire (Sara Montpetit) qui refuse de tuer pour se nourrir se lie d'amitié avec un adolescent dépressif (Félix-Antoine Bénard).
Cinoche.com s'est entretenu avec la réalisatrice de cette oeuvre unique, à la fois ironique et mélancolique...
Qu'est-ce qui t'a amenée vers ce projet hors norme?
C'était le début de la COVID-19, et je voulais m'amuser dans le processus d'écriture. J'ai eu le flash du film et je l'ai présenté à mon amie Christine Doyon, qui a le même sens de l'humour que moi. J'avais envie d'un film qui aborde des questionnements profonds, mais dont les gens ressortiraient avec un sourire. On a passé notre pandémie sur ce projet, et cela a été un exutoire parfait.
Ton film offre un amalgame entre le cinéma de genre, la comédie, la romance et le récit d'apprentissage. Comment on arrive à bien doser le tout?
Je ne sais pas. Ce n'était pas savamment calculé. Je voulais seulement me fier à notre instinct, à Christine et moi. Si on trouvait quelque chose de drôle et d'attendrissant, on y allait. On ne sait jamais, quand on est en train de l'écrire ou de le tourner, si ce mélange-là va donner un objet conséquent ou si cela va créer des ruptures de tons. La ligne directrice était de diriger les acteurs dans le drame et de faire confiance aux situations et à l'humour du scénario. Tout est dans les petits détails.
Le résultat final me faisait penser à du Stéphane Lafleur, qui a monté ton film. Comme dans son précédent long métrage Viking, tu mélanges les genres afin de faire ressortir la mélancolie, la nécessité de créer des liens entre deux individus solitaires. Et tu fais même appel à Steve Laplante et Marie Brassard dans des rôles secondaires...
Je sens un lien d'appartenance et de parenté avec le cinéma de Stéphane. Les thématiques qu'il aborde, le ton de comédie qu'il y a dans ses films et le dosage avec le genre me parlent beaucoup. C'était la personne parfaite pour monter mon film, car je sentais qu'il allait comprendre mon ton.
Tes précédents courts métrages se situaient déjà dans le cinéma de genre. Qu'est-ce que le genre te permet de faire?
C'est un terrain de jeu vraiment super pour aborder plein de thématiques très humaines, plus profondes et avec une certaine distance. Je pense que ça place les spectateurs dans une position plus réceptive.
Ici, il est question de vampires.
Avec les vampires, nécessairement, on parle de la mort, de la solitude. Vampires comme humains, on a tous besoin de sentir un sentiment d'appartenance. On a tous besoin d'amour... Mes films de vampires préférés sont ceux où les vampires ne sont pas seulement assoiffés de sang. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le bien et le mal, mais les zones grises.
Tu aurais aimé être un vampire?
Non, absolument pas. C'est terrible! Je ne le souhaite à personne. Je pense que j'aurais le même dilemme que Sasha. Quand tu es vampire, tu dois tuer pour survivre. C'est un peu ça son grand drame. Dans la tête de Sasha, sa vie ne vaut pas plus que celle des gens qu'elle doit tuer.
Une scène du film Vampire humaniste cherche suicidaire consentant - h264
Quels sont tes films de vampires préférés?
Le premier film de vampire qui m'a vraiment marqué est The Hunger avec David Bowie, Susan Sarandon et Catherine Deneuve. C'est un film super sensuel qui m'a permis de voir les vampires sous un autre angle. Sur le plan contemporain, il y a A Girl Walks Home Alone at Night qui m'a vraiment habitée pendant longtemps pour son ambiance, sa mélancolie. Il y a aussi Only Lovers Left Alive qui a été une inspiration au niveau de l'esthétique de vampire. J'aime faire des films avec beaucoup de textures et j'adore jouer avec les époques. Il y a également Let the Right One In et What We do In the Shadows. Sans oublier Under the Skin qui est un film d'extraterrestre. Cela m'a inspiré au niveau d'être une créature dans un monde humain.
Sur le plan technique, on sent que tu fais énormément avec un budget limité.
Je préfère davantage suggérer l'horreur que de la montrer. C'est plus puissant de se servir du son et du hors-champ pour créer de la tension et, dans le cas de mon film, de la comédie. J'aime beaucoup les contrastes entre quelque chose de léger et de lourd à la fois.
J'avais envie de jouer avec le rythme. Il y a des séquences au montage très dynamiques, et d'autres où le plan-séquence est plus posé. Je voulais surtout qu'on soit près des personnages.
On sent également un immense travail au niveau de la lumière.
Avec le directeur de la photographie, on a regardé plein de films de vampires, de Nosferatu à aujourd'hui, pour ressortir les codes qu'on trouvait intéressant. On le faisait dans un état d'esprit ludique, pour s'amuser. C'était le fun de jouer avec l'expressionnisme allemand à certains moments, d'amener le danger avec la lumière.
C'est un film de duo. La chimie est importante entre Sara Montpetit et Félix-Antoine Bénard. Pourquoi as-tu fait appel à eux?
Je pensais à Sara depuis longtemps. C'est une jeune actrice dotée d'une grande intériorité, qui possède un jeu fin et subtil, et qui a un aura de mystère. Puis, physiquement, je trouve que ça fonctionnait avec la figure de vampire. Quant à Félix-Antoine, c'est son premier rôle au cinéma. J'ai eu un coup de coeur pour lui en audition. Il y avait une espèce de malaise et de curiosité entre les deux. J'ai vu le ton de mon film prendre forme sous mes yeux.
Tu peux me parler de ta cinéphilie?
Le premier film qui m'a fait vivre des émotions plus grandes que le simple fait d'être diverti, c'est Mulholland Dr. J'adore le cinéma de David Lynch!. C'est un réalisateur qui m'a beaucoup inspirée, au même titre que Jim Jarmusch et les premiers films de Sofia Coppola. J'aime également beaucoup le cinéma de Roy Andersson. C'est plus sombre que ce que je fais. Mais la condition humaine, l'humour et la mélancolie mélangés me touchent beaucoup. Au Québec, il y a Stéphane Lafleur.
Vampire humaniste cherche suicidaire consentant prend l'affiche ce vendredi 13 octobre.