Depuis la sortie de son film culte Bernie, en 1996, Albert Dupontel cultive un humour insolite et irrévérencieux, ayant offert avec Adieu les cons et 9 mois ferme quelques-unes des comédies françaises les plus désopilantes des dernières années. Dans Second tour, sa plus récente réalisation, il prête ses traits à un politicien qui possède d'excellentes chances d'être élu à la présidentielle. Mais lorsque les problèmes surviennent, il doit son salut à une journaliste incarnée par la toujours pétillante Cécile de France.
Cinoche.com a rencontré les comédiens dans le cadre des Rendez-vous d'Unifrance, à Paris.
Votre nouveau film est une satire politique, avec ce candidat qui semble beige, mais qui veut vraiment changer les choses. Évidemment, on ne l'entend pas ainsi et des gens haut placés cherchent à l'éliminer. Quel est votre rapport à la politique?
Albert Dupontel : Elle me fait peur. Elle me fait tellement peur que j'ai envie d'en parler. Je voulais voir comment un individu idéal allait réagir face à celle. C'est comme le film Being There de Hal Ashby, que j'adore. C'est une fable sur ce qu'il faudrait pour que quelqu'un arrive à faire de la politique. C'est invraisemblable, évidemment, mais cela exprime un souhait naïf, profond et sincère.
Vous proposez également une satire du journalisme, une histoire de jumeaux, un drame écologique, un suspense paranoïaque, une romance lyrique, etc. Il y a plein d'éléments qui semblent être là à la fois pour surprendre le spectateur et pour ne pas l'ennuyer. Sentez-vous que ce sont des qualités qui sont peut-être de plus en plus rares au cinéma?
AD : C'est un peu comment je vois les choses. J'aime bien les romans de gare, Oliver Twist, Hugo, Simenon et Balzac. J'essaie de lire Proust. Mais honnêtement, dix pages sur un escalier, franchement, je n'y arrive pas! Alors que je prends Balzac n'importe quand - par exemple Le Colonel Chabert - et je dévore les pages. En fait, j'aime les récits romanesques. Je ne me suis pas privé sur ce film qui est, il faut l'avouer, un peu gourmand. Dans le cinéma classique, je devine très vite ce qui va se passer. Malgré tout, des fois, c'est bien fait. Balzac dit : « La vérité, on l'exprime ou on la restitue ». Moi, je l'exprime la réalité. Ce que j'en vois, ce que j'en perçois. Je m'y retrouve dans cette gourmandise des thèmes abordés.
Cécile de France : Le cinéma d'Albert est comme ça. C'est un cinéma sincèrement généreux. Il va veiller à ce que tout le monde - enfant, vieux, homme, femme - puisse s'y retrouver. Que ça fasse vibrer toutes les cordes de l'émotion - celle du rire, du suspense, du drame - et que tout le monde en ait pour son argent. Tu as payé ton ticket, alors pendant une heure et demi, il va vibrer, il va jubiler. C'est la noblesse du divertissement. On peut parler de choses très profondes, mais en riant. Ça représente bien pourquoi on va au cinéma.
En effet. Il y a vraiment un côté électron libre dans votre cinéma. Vos films sont immédiatement reconnaissables par le ton, la poésie, l'humour et la mise en scène qui est virevoltante...
AD : C'est vraiment une question de perception. Quand je vais dans la rue, je ne vais pas voir et entendre la même chose que vous. Je ne retiens pas la même chose d'une soirée que ma femme ou mes amis. Ce que je ressens des choses, c'est en fonction de ce que je suis. Quand je travaille, je restitue ce que moi j'ai perçu. Ce qui n'est pas forcément ce que les autres perçoivent. Sinon cela devient un film personnel. On a presque la prétention de croire que lorsqu'on fait un film, tout le monde partage son point de vue. Mais c'est faux.
Il s'agit peut-être de votre film le plus tendre, humain, romanesque. On sent que vous n'auriez pas pu le réaliser à 30 ans.
AD : J'ai remarqué que lorsqu'on est jeune, on se met très à distance de ses émotions personnelles. Faire le guignol, je ne m'en suis pas privé. Maintenant, j'en ai moins envie. Il faut respecter ses envies. C'est vulgaire de chercher à plaire. C'est à ses risques et périls. De plus en plus, je me rapproche de la réalité. C'est notamment le cas du prochain film que je prépare. C'est douloureux, je n'aime pas la réalité.
Image du film Second tour - Manchester Films
Pourquoi avez-vous fait appel à Cécile de France?
AD: Cécile est une grande actrice. Je l'avais repéré depuis un moment déjà. J'avais même hésité sur Adieu les cons entre elle et Virginie Efira. Mais je trouvais que Virginie vendait de l'érotisme naturel, ce qui n'est pas le cas de Cécile, qui vend un autre type de séduction comme la fraternité et la simplicité. Quand j'ai pensé à Second tour, je me suis vite enligné sur Cécile. Elle avait une sincérité et un regard humble sur son métier et son environnement. Elle était parfaite. C'est vraiment le personnage féminin sur lequel j'ai eu le plus de plaisir à travailler sur tous mes films.
Comment arrive-t-on à trouver ses repères dans un film d'Albert Dupontel?
CdF: On avait fait une journée ensemble sur Fauteuils d'orchestre. Je me souviens de l'harmonie de cette rencontre... Ça match bien entre nous deux. C'est cool. Albert m'impressionne tellement. Je l'admire énormément. Il m'a réappris des choses sur mon métier qui me servent encore aujourd'hui, comme par exemple travailler sur mon énergie. C'est précieux, c'est formateur. Il avait une vision du personnage qui n'était pas vraiment ce que j'étais. Il fallait que j'accède à ça. Ça m'amusait de sortir de ma zone de confort.
Avec 9 mois ferme, Au revoir là-haut et Adieu les cons, qui a remporté plusieurs Césars, vos derniers films ont rencontré un succès critique et public. Avec Second tour, l'accueil a été un peu plus timide...
AD : En France, le film n'a pas marché du tout. Après, le succès, vous savez, à la limite, ça me gêne. J'aime mieux être un outsider. Il paraît que la presse en France a été dévastatrice et ça me fait du bien. Les Césars et tout, ça rend con. Déterminer qui est le meilleur, c'est absurde. Vouloir être artiste, c'est vouloir élever son niveau de conscience. Vous êtes dans un troupeau depuis l'école, et un jour vous vous dites : « Si je sors du troupeau, il fait froid, il y a des loups, on a faim et je suis bien où je suis ». Mais tu le fais quand même. Et quand tu as du succès, le troupeau revient à vous. Il faut encore ressortir du troupeau. C'est du psychotisme. Je pensais faire trois entrées avec Bernie, et le film a cartonné. Je ne voulais pas qu'on me résume à ça. Alors je suis allé ailleurs. Il ne faut pas cracher sur le succès. Mais il faut être très prudent par rapport à ça, et se recentrer sur ce qu'on veut raconter.
Second tour prend l'affiche au Québec le vendredi 2 février.