Récipiendaire du prix du meilleur scénario lors de sa présentation au Festival des films du monde à l'automne dernier, le plus récent film d'Emmanuel Mouret, L'art d'aimer, prend l'affiche au Québec ce vendredi. Le film met en vedette une habituée du réalisateur, Frédérique Bel, ainsi qu'une panoplie d'acteurs dans un film choral qui traite, bien évidemment, de l'amour...
Vous sortez un peu des carcans du schéma narratif habituel avec plus de personnages, plus d'histoires. « C'est ce qui était très excitant à faire dans ce film, ce qui me faisait un petit peu peur au début parce que tant qu'on n'a pas passé au montage on se demande si tout ça va raconter quelque chose. C'est la chose qui m'a beaucoup plu en faisant ce film, ces histoires fédérées autour d'une thématique, sans être très précis non plus, et qui tout à coup prennent des couleurs, s'associent, jouent entre elles. C'est une structure d'histoire sur laquelle je n'avais pas de modèle : ce n'est pas un film choral à la façon d'Altman, ce n'est pas non plus un film à sketches, c'est un film avec des épisodes, des histoires parallèles, certaines qui vont finir par se croiser, d'autres non... »
Vous retrouvez Frédérique Bel, qui incarne un personnage qui représente pratiquement une synthèse de votre oeuvre... « Quand j'ai écrit pour ainsi dire sa partition, c'est quelque chose qui est sorti sans réflexion. C'est très plaisant d'écrire à partir de situations très très simples : un homme désire une femme, elle le désire, mais... elle ne sait pas. »
« Ce sont tous des acteurs que j'aime beaucoup, avec qui je suis très heureux de travailler. Je ne sais pas comment le dire très simplement parce que quand on dit du bien de quelque chose ça semble toujours un peu promotionnel. Ce sont des comédiens à la nature très différente, au style de jeu très différent. Ces différences m'amusaient beaucoup. »
Vous avez un style et une couleur qui sont reconnaissables entre toutes. « Les dialogues, le langage, il est très différent des autres films, mais comme les autres films sont très différents du langage courant. J'ai plutôt l'impression que dans la vie, on fait des aller-retour, on dit quelque chose, et puis non en fait, on essaie de terminer plus ou moins ses phrases, on est soucieux de l'autre, on essaie de ne pas le blesser par ses mots. Dans beaucoup de films, c'est fait exprès que les personnages soient méchants les uns envers les autres. »
« Alors peut-être que mes dialogues sont particuliers par rapport aux autres films, mais moi je trouve les dialogues des autres films très particuliers par rapport au langage courant. »
« Plus encore, les personnages, bien qu'ils aient des attirances, des désirs, ce sont aussi des personnages qui sont soucieux des autres, qui sont attentifs aux autres, et moi je sais que c'est ça qui m'intéresse au cinéma. C'est peut-être aussi ce qui intéresse les acteurs qui jouent pour moi, je trouve qu'il se passe quelque chose chez un comédien quand il est pris entre deux feux. Je suis impressionné souvent par le manque de civilité de beaucoup de personnages de cinéma. »
Qu'est-ce que le cinéma vous permet de dire de plus que de simplement raconter l'histoire, ou l'écrire dans un roman? « Moi je ne pense pas avoir des choses à dire, ce n'est pas le bon mot, « dire ». D'ailleurs il y avait une très belle formule d'Hitchcock qui disait : « Si vous avez un message à faire passer, ne faites pas de film. Prenez un haut-parleur. » Beaucoup de films sont basés aujourd'hui sur cette notion de message : on fait un film pour dire quelque chose. Je ne suis pas du tout sensible à toute cette partie du cinéma, on peut très bien très la trouver dans des livres, dans des documentaires, des émissions de télévision. »
« Pour moi, le cinéma, ce n'est pas pour essayer de dire des choses, c'est pour essayer de trouver une saveur aux choses. Pour essayer de voir ce que ça va donner. »
Dans un film, il y a des millions de choix à faire. « Faire un film c'est créer une machine - dont on est un peu le maître - à faire des choix. » C'est une question d'instinct? « C'est une question d'instinct, mais un film est aussi une question de circonstances; c'est un objet dont le réalisateur n'est pas le seul maître. Les techniciens, les décors, ce qu'apportent les comédiens; le film capte quelque chose qui va au-delà de la volonté. »
« Le travail de réalisateur c'est une question d'écoute. On n'est pas capable de voir un film à l'avance; il n'y a aucun réalisateur qui peut fermer les yeux pendant une heure et demie et de voir tous les détails de son film, la coupe des cheveux, les vêtements, la lumière sur le visage, la façon dont va jouer le comédien, la musique, le mixage... Celui qui dit : « j'ai fait le film que j'ai imaginé » vous pouvez être sûr que c'est un menteur ou un prétentieux. »
Vous avez quand même un public fidèle, même ici au Québec. « Je sais que le public de mes films, c'est des gens qui sont curieux de voir autre chose que le mainstream. »