Le film Enemy, du réalisateur québécois Denis Villeneuve, est attendu dans les cinémas du Québec ce vendredi. Tourné avant Prisoners, qui a pris l'affiche l'automne dernier, le long métrage met en vedette Jake Gyllenhaal dans le rôle d'un professeur d'histoire qui entre un jour en contact avec un acteur de second ordre qui lui ressemble en tous points.
Villeneuve, qui est aussi responsable des longs métrages Un 32 août sur Terre, Polytechnique et Incendies, a d'ailleurs été récompensé du prix Écran canadien de la meilleure réalisation pour son travail sur ce film, qui met aussi en vedette Mélanie Laurent et Sarah Gadon. Le récit est inspiré du livre The Double, de José Saramago, récipiendaire d'un prix Nobel de littérature en 1998.
En voyant le film, il m'a semblé évident que le cinéma était le meilleur médium pour raconter cette histoire. « Saramago va être en criss après moi, mais je pense que tu as raison. Il y a une limite à la littérature face au thème du double que le cinéma embrasse. C'est une figure qu'on voit souvent au cinéma, la figure du double, beaucoup de films ont été faits là-dessus, car cet effet miroir-là est tellement puissant et permet tellement de choses. Le cinéma est la forme artistique qui permet le plus d'explorer le trouble et la puissance de se rencontrer soi-même. »
Le cinéma a des moyens pour exprimer le trouble : la direction-photo, le montage, l'ambiance sonore... « Oui, et il y avait vraiment la volonté d'explorer, d'exprimer la profondeur du trouble, le malaise et l'angoisse de se rencontrer soi-même. En tant qu'êtres, on est toujours dans une tension entre le narcissisme et une répulsion face à sa propre image. De se voir, pour moi, c'est assez cauchemardesque comme idée. »
« J'avais aussi la volonté de créer un laboratoire avec un comédien. Je trouvais que dans mes films précédents, j'avais une grande complicité avec les directeurs photos, les monteurs, mais avec les comédiens... J'avais une relation avec eux, mais pas en profondeur, je n'avais pas d'espace pour réfléchir avec eux sur le cinéma, sur la mise en scène, pour partager la création. Je voulais créer une relation où on réfléchit sur le jeu ensemble. »
C'est là que Jake Gyllenhaal entre en jeu. « Jake, c'est un comédien qui m'avait beaucoup impressionné dans Brokeback Mountain, c'est quelqu'un qui a une grande précision. C'est quelqu'un qui est en train de définir son identité en tant qu'acteur. Il a une grande culture, une personnalité forte, mais c'est quelqu'un qui est dans un système assez monstrueux. Je pense qu'il sentait qu'il était en train de perdre son identité et qu'il voulait retrouver le plaisir de jouer. »
« Jake, pour travailler ses personnages, ce qui le rassurait, c'était les costumes. Les chemises n'étaient pas pareilles, Rene April a travaillé les poches des vestons pour qu'elles soient un petit peu plus profondes pour qu'il puisse mettre ses mains dedans, les boutons n'étaient pas placés à la même place parce que Jake trouvait qu'un personnage était plus narcissique, donc il fallait que son corps soit plus en évidence. La longueur des pantalons, tout, faisait en sorte que Jake prenait une posture différente. »
« Plus je travaille avec les acteurs, plus je les aime, plus j'ai envie de travailler avec eux, moins ils me font peur, plus ils m'inspirent profondément et plus je suis humble parce que je n'ai plus envie d'arriver avec une technique mais de les écouter eux. Chacun est une bibitte différente et il faut que je m'ajuste pour aller chercher le meilleur de chaque acteur. »
Le travail consiste donc à expérimenter sur le plateau? « Pour que le film ait une cohérence et une unité formelle, il faut que tu sois super préparé, il faut que tu sois synchrone avec ton directeur photo. Il y a des choses que tu ne peux pas improviser. Mais une des formations les plus importantes dans ma vie, ça a été le documentaire. De travailler à observer la vie. Avoir une approche plus spontanée par rapport à ce que je tourne, développer une intuition face à trouver des images on the spot. »
Enemy est distribué par Les Films Séville.