D'aussi longtemps qu'on le connaît, Denis Villeneuve a voulu toucher à la science-fiction. Déjà à l'époque d'Incendies, il nous confiait son admiration immense envers ce genre et spécialement 2001: A Space Odyssey de Stanley Kubrick.
C'est d'ailleurs avec un chandail à l'effigie du méchant robot Hal 9000 que je le rencontre dans un hôtel du Vieux-Montréal. Même si le cinéaste est devenu une vedette depuis qu'il travaille à Hollywood, le succès ne l'a pas changé. Il est toujours aussi simple et facile d'accès.
Après avoir enchaîné tour à tour Prisoners, Sicario et Arrival, voici qu'on lui offre le film le plus ambitieux de sa carrière: Blade Runner 2049. Une superproduction de 185 millions où il a pu - fait rare - obtenir le director's cut. Le voilà suivre les traces de Ridley Scott et de ce chef-d'oeuvre du septième art, alors qu'un nouveau Blade Runner (Ryan Gosling) est appelé à enquêter sur un secret vieux de 30 ans et qui concerne le personnage qu'interprétait Harrison Ford.
Faire une suite à Blade Runner, ce n'est pas un sacrilège?
Oui. Au départ, je me suis dit que je ne voulais pas me sentir comme un vandale qui entre dans une Église avec de la peinture. J'ai demandé à Ridley Scott qu'il me donne les clés de l'Église. J'avais la permission pour le faire. Je trouve que le scénario amenait un regard neuf sur cet univers-là... Je me suis dit que de toute façon, il était trop tard. Quelqu'un allait faire le film. C'est très arrogant et prétentieux, mais au moins je sais que quoi qu'il arrive, si je me casse la gueule, au moins je vais tout donner pour essayer de faire quelque chose qui honore le premier film.
Comment arrivez-vous à sublimer les scénarios de vos derniers films et à les élever grâce à votre mise en scène? Les images sont tellement fortes qu'elles finissent par pallier les défauts...
Il y a un gros travail d'appropriation du film, du scénario. Un travail de réécriture est fait pour le rapprocher de moi. Quand on fait les story-boards, quand on dessine le film, quand on décide ce que va être le langage du film, comment on va approcher chaque scène, il y a un travail de transformation vraiment intense, à un point tel que les scénaristes sont obligés de réécrire le film. Je change trop de choses. Le film devient trop différent. Ça reste la même trame narrative de base, la même structure, le même arc, mais le contenu des scènes, les images, c'est là que je m'approprie le film et que je le transforme. Cette fois-ci, c'est un processus que j'ai fait avec Roger Deakins.
Pourquoi lorsqu'il est question de sexe dans vos longs métrages, c'est pour évoquer une menace ou la mort? C'est le cas de Sicario, de Blade Runner 2049...
Hahaha! C'est une bonne question. La sexualité est un moteur fort de l'être humain qui est directement lié à notre inconscient et ce sont des forces vraiment puissantes que l'on peut plus ou moins contrôler. Mais le rapport au fait que la sexualité est installée comme un signal de malheur... écoute, honnêtement, ça me réjouit que tu me dises ça. Mais... (silence) Il faut que je réfléchisse. Tu vois, je vais être très honnête avec toi. J'ai fait cinq films en six ans, ce qui veut dire que j'étais constamment en train de travailler. C'est un privilège, ça fait en sorte que comme cinéaste, je peux toujours me consacrer pleinement au travail et apprendre, apprendre, apprendre, apprendre. Mais je peux réfléchir à ce que je fais, pas à ce que je viens de faire. Au moment où j'ai fini le print final d'Arrival, je partais le lendemain à l'aube pour Budapest pour continuer la préproduction de Blade Runner. Il y a des liens plus ou moins conscients qui peuvent s'opérer entre les films, parce que je suis la même personne. Ce que toi tu peux voir, mais que moi je vais découvrir en réfléchissant sur ce que je viens de faire dans les prochains mois. (rires)
Qu'est-ce qui s'est passé avec votre compositeur fétiche Johann Johannsson, qui a quitté le navire en cours de route?
Je vais faire attention à ce que je dis, parce que ce qui se passe dans une équipe de cinéma, c'est toujours un laboratoire. Johann est un compositeur pour qui j'ai le plus grand respect. Plus j'avançais sur le projet et plus je sentais viscéralement que la musique devait dangereusement être proche de Vangelis (le compositeur du film original). Et c'était avec Hans Zimmer et Ben Wallfisch que je pouvais avoir ce que je voulais.
Vous avez eu la bénédiction de Ridley Scott pour ce projet. Vous lui avez demandé de l'aide?
Au départ, il m'a fait le cadeau de complètement disparaître. Il m'a donné carte blanche en me disant « c'est ta responsabilité, travaille fort et si tu as besoin de moi, je vais être là ». Je lui ai demandé des conseils à propos du casting. Sinon, je n'ai pas eu de contact avec lui, du tout. À l'époque, il était super occupé à faire Alien: Covenant. Je savais que si j'avais besoin de lui, il était au bout du fil. Mais j'avais besoin d'une distance nécessaire. Parce que pour moi, c'est un maître. Je ne pouvais pas travailler avec lui derrière l'épaule. Ça aurait été impossible. Il s'est tenu loin et je lui en suis très reconnaissant. Le plus grand cadeau qu'il pouvait me faire, c'est de me donner une totale liberté.