Le plus récent film du réalisateur québécois Denis Côté, Curling, prend l'affiche cette semaine au Québec après des présentations à Locarno, Toronto et à Montréal, où il assurait la clôture du Festival du Nouveau Cinéma.
Le film met en vedette Emmanuel Bilodeau, Philomène Bilodeau, Roc Lafortune, Sophie Desmarais et Muriel Dutil.
As-tu l'impression qu'on attend « le prochain film de Denis Côté » plutôt que Curling ou Elle veut le chaos? « Ça serait une sorte de compliment déguisé... Si l'industrie attend le prochain film de Denis Côté, c'est sûr que c'est bon, mais si en plus le film rejoint monsieur et madame parce que c'est avec le gars qui a joué René Lévesque, ben là c'est complet. Ça serait magnifique. »
Est-ce ton film le plus accessible? « Je dirais que c'est le film avec lequel je vais être le plus confortable : avant, pendant et après. Par confortable je veux dire que je vais être moins dans la confrontation avec les journalistes, avec le public, j'ai moins à m'expliquer, c'est un film un petit plus lumineux, un petit plus humain. Je contourne le mot accessible parce qu'il m'écoeure et que je ne sais pas ce qu'il veut dire. »
« Après cinq films en cinq ans, je vois combien mes films scorent. Oui j'ai eu des petits distributeurs, mais tous les moyens sont mis en oeuvre pour rejoindre tous les cinéphiles. Les cinéphiles à Montréal, ça ne grossit pas, le bassin, c'est quoi, mille, deux mille personnes? Tout dépend de la définition qu'on a d'un cinéphile : un cinéphile c'est quelqu'un qui suit l'actualité festivalière d'abord, qui est capable de mettre des noms sur des titres de films. Est-ce que je fais des films pour eux autres? Ben non! »
Avec Rafaël Ouellet, Maxime Giroux et Stéphane Lafleur, tu fais partie de ce qu'on a appelé la « Nouvelle Vague québécoise », sans qu'il y ait véritablement de liens thématiques entre vous. Pourrait-on dire que vous êtes la première génération de cinéastes à avoir été éduqués au cinéma plutôt qu'à un autre art? « On est une génération de l'image. On n'est pas des gens très érudits, on n'a pas de maîtrise à l'université, on n'a pas lu comme des fous, mais on produits des images. C'est une génération qui n'a pas appris à consommer le cinéma en gang ou en interrelation avec les autres arts, comme tu disais. J'ai appris le cinéma en VHS dans un sous-sol de banlieue. »
« Aller au cinéma, c'était comme chic. »
Le cinéma découle du cinéma. « Nous ce qu'on fait, c'est du cinéma qui regarde du cinéma. Moi je sens que quand je fais un film, je n'ai de comptes à rendre qu'au cinéma. Ça donne des expériences formelles plus pointues, peut-être, mais on perd peut-être du public. On dirait qu'on se parle à nous autres même. »
Mais avez-vous des devoirs moraux envers la société? « Un devoir moral, ça implique une position morale, donc une position par rapport au monde tranchée par rapport aux autres. On essaie de s'en tenir loin de la morale, on ne veut pas se faire piéger par rien. On ne veut pas se mouiller de politique, ni de social, on ne veut pas se faire prendre dans nos opinions. Ça donne peut-être mes films... du monde qui vivent un petit peu en marge. »
Est-ce que le saison hivernale est importante dans Curling? « Au début c'était tout écrit en été, il se promenait en scooter... J'ai eu le réflexe, comme tout le monde, d'écrire pour l'été. C'est plate, mais je savais que j'aurais un million maximum pour faire mon film. C'est aussi niaiseux que : louer une génératrice, deux génératrice, s'assurer que toute l'équipe va aller manger au chaud, le soundman qui tombe malade, des autos qui tombent en panne, des tempêtes de neige. Quand tu penses à ça, tu écris pour l'été. »
« Mais pour Curling, ça a été accidentel : on a eu les sous en plein milieu de l'été, alors je me suis mis à tout repenser à mon histoire, à la réécrire pour l'hiver. L'hiver paralyse les rapports humains, engourdis tout, mais j'aime aussi l'idée que le printemps va venir. Leur vie c'est peut-être autre chose au printemps et en été. »
« Je suis fier de Curling parce que c'est un film beaucoup moins formel que les autres. Esthétiquement, je ne voulais aucun spectacle, rien, que le monde pense même qu'il n'y a pas d'éclairage dans ce film-là. Je voulais un feeling du cinéma québécois de fiction des années 70. Tous les mouvements d'appareil, je veux que ce soit le contraire d'Elle veut le chaos, je veux qu'on arrête de dire : « Wow! Check le plan! ». Je veux que ce soit fonctionnel : si la caméra se déplace, c'est parce que le comédien se déplace. Je suis content d'avoir aboli le côté show-off de la forme. »
C'est aussi aboli dans le jeu des comédiens. « J'aime ça intérioriser. » Mais pour eux, c'est presque contre-nature. « Oui, parce qu'ils ont appris le réalisme psychologique de la télévision. Emmanuel, c'est une acteur de « télévision », il a tout connu, souvent dans des environnements de cabotinage. Quand il a appris qu'il avait gagné un prix d'interprétation pour Curling, il n'en revenait pas : pour lui, il n'a rien fait. Pour nous autres, il fait tout. »
Le film prend l'affiche simultanément dans une vingtaine de salles à Montréal, Québec, Sherbrooke et Gatineau.