Le nouveau film du réalisateur Bernard Émond prend l'affiche ce vendredi dans les salles du Québec. Tout ce que tu possèdes raconte l'histoire d'un professeur de littérature étrangère à l'université qui vit une crise existentielle, amplifiée par l'arrivée impromptue de sa fille de 13 ans et par la mort de son père qui lui lègue des millions de dollars qu'il refuse, soutenant que l'héritage est constitué de biens mal acquis.
« Depuis toujours je suis fasciné par ces personnes qui se défont de tout, qui donnent tout. Je trouve qu'on vit dans un monde qui est obnubilé par l'argent, par les possessions matérielles et j'avais envie de faire un film un sur personnage qui se départit de tout. D'ailleurs, il y a dans le bureau de Pierre, une reproduction d'une fresque de Giotto qui illustre un moment de la vie de Saint-François d'Assise qui s'appelle justement La renonciation aux biens paternels. Le père de François était un riche drapier que François volait pour restaurer des églises et pour donner aux pauvres. Il s'est fait finalement traîner en cour par son paternel. La fresque montre Saint-François, ses vêtements à la main, qui les rend à son père. C'est peut-être d'ailleurs ça le point de départ du film. Il se dépouille de tout. Moi je trouve que c'est d'une beauté extraordinaire, à notre époque tout particulièrement, on a besoin de ça », explique le réalisateur Bernard Émond.
Le film aurait pu se passer dans différentes villes, pourquoi Québec? « Parce que j'aime Québec. Très tôt dans le développement du scénario j'ai su que l'action se déroulerait à Québec, mais je ne savais pas pourquoi. Je suis allé m'installer quelques jours là-bas, je montais et je descendais dans les rues de la ville, et plus ça allait, plus je voyais mon personnage, et là j'ai compris que Pierre est un personnage qui émerge, qui s'enfonce, qui émerge et qui s'enfonce encore, donc la géographie de la ville permettait bien d'illustrer ça. Il y a place aux relations humaines à Québec. Comment descendre la rue St-Jean et ne pas rencontrer un ami et aller prendre une bière? Ça c'est formidable, parce que c'est ça une ville, c'est ce qu'on n'a pas dans les mégalopoles, qu'on n'a plus beaucoup à Montréal. Pour moi Québec, c'est une ville d'une socialité exemplaire. »
La littérature prend une place très importante au sein de la production, elle a un rôle-clé. « Lire c'est la chose que j'aime le plus faire dans vie. J'ai plus lu dans ma vie que j'ai fait de films, que j'ai écrit, marché et même dormi. Je n'ai pas eu une enfance très facile et c'est la littérature qui m'a permis de sortir de moi. Quand on m'a mis Balzac dans les mains, Zola, je me suis ouvert sur le monde. Soudainement, je sortais de mon petit appartement montréalais et je découvrais la France du XIXe siècle. Et, ce n'est pas juste sortir de sa tête, c'est aussi être en contact avec des écrivains qui se posent de grandes questions sur le monde, et il me semble que lorsqu'on se met à s'interroger sur la gouverne du monde, sur le sens de l'existence, notre vie devient plus riche, pas plus facile, mais plus riche. »
Le personnage de Pierre traduit des textes du poète polonais Edward Stachura, qui finit par prendre une place importante au sein du récit. « Stachura était chéri par les jeunes en Pologne dans les années 70. C'était une figure culte, il était chanteur, poète, romancier, ses livres tiraient des dizaines de milliers d'exemplaires. À la fin de sa vie, il a été atteint d'une maladie mentale, qu'on croit être la schizophrénie. Il a entendu des voix qui ont exigé de lui qu'il se jette sous un train, ce qu'il a fait. Il a miraculeusement survécu, mais a perdu la main droite. Alors qu'il était en convalescence de cette tentative de suicide, il a écrit Me résigner au monde (le seul livre disponible en français) dans lequel il tente de se réconcilier avec la vie. Il n'y est par contre pas parvenu puisque, quelques mois plus tard, il est allé se pendre dans son appartement de Varsovie. Mais ce qu'il faut dire, c'est que Stachura, qui a eu cette fin tragique, n'est pas un poète ou un romancier noir. Il y a une bonne partie de sa poésie qui reflète une grande vitalité et une grande générosité. C'est ce qui est montré dans le film. »
« La plupart des poèmes ont été retraduits par une Polonaise montréalaise. Ce sont d'ailleurs les notes de notre traductrice que Patrick utilise dans le film pour illustrer son travail. À certains moments, on voit à l'écran la traduction du poème se construire. Je voulais qu'on puisse voir ce processus complexe et riche qu'est celui des traducteurs. »
Patrick Drolet considère d'ailleurs que cet aspect plus « littéraire » représentait le plus grand défi de la production. « Il avait beaucoup de scènes où le personnage était assis devant un ordinateur. Il fallait rendre ça suffisamment intéressant pour que le public n'ait pas envie de quitter la salle, parce que ce qu'il voit à l'écran est trop plate et lourd. Le personnage ne parle pas, il n'est en interaction avec personne, alors c'est difficile de rester dans le cinéma. Il faut vraiment faire confiance aux mots et à l'homme derrière la caméra. »
Le réalisateur ajoute : « Faire un film littéraire oui, mais il faut toujours être conscient qu'on reste dans le cinéma. Dans Tout ce que tu possèdes, on est en plein cinéma, on a un acteur, on a du temps, on a un cadre, oui, parfois on voit des mots défiler à l'écran, mais ce qui est l'fun avec la traduction c'est qu'on a un matériau varié, on a le poème en français, en polonais, le texte qui se construit sur l'ordinateur, alors, ces différents éléments m'ont permis de dynamiser l'art littéraire. »
Bernard Émond, qui a travaillé à plusieurs reprises avec l'acteur Patrick Drolet avant aujourd'hui, notamment dans le long métrage La neuvaine, dit avoir écrit le rôle pour lui. Le comédien apprécie, lui aussi, chaque rencontre avec le réalisateur. « Je souhaite à tout acteur, jeune ou moins jeune, d'avoir la chance de travailler avec lui. C'est un homme préparé, c'est quelqu'un qui est pertinent dans ses propos, quelqu'un qui aime raconter une histoire. Tous les gens qui travaillent pour lui, que ce soit ses assistants à la réalisation, sa directrice photo, ses acteurs, ils ont tous envie de porter cette histoire-là, de l'épauler, alors c'est très enrichissant comme expérience. »
« Il offre également une grande liberté aux comédiens. Il y a une séquence dans le film où le personnage va reconduire sa fille à sa mère. Dans le scénario, il y avait une quinzaine de répliques et on les faisait ensemble, moi et Willia, et ça fonctionnait mais à un moment j'ai dit à Bernard : « Il me semble qu'on ne devrait pas parler ». Et voilà, en répétition on l'on essayé, ça a très bien marché, alors au tournage on l'a fait sans texte. »
Le drame québécois Tout ce que tu possèdes sort en salles vendredi.