Depuis sa présentation au dernier Festival de Cannes, une rumeur plus que favorable plane sur le long métrage allemand Toni Erdmann. C'est le favori aux Oscars dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère et on vient d'annoncer un remake américain qui mettra en vedette Kristen Wiig et Jack Nicholson qui sort de sa retraite spécialement pour l'occasion. Mais qu'en est-il vraiment? Est-ce que l'oeuvre est à la hauteur de sa réputation?
Oh que oui! Évidemment, il y aura toujours une ou deux personnes qui vont rouspéter, qui se font des attentes (mais pourquoi?) et qui seront déçues de ne pas découvrir Citizen Kane 2. Les autres se retrouveront devant un des meilleurs opus de l'année, et ce, peu importe l'année.
Le premier mérite de la production est de redonner ses lettres de noblesse à la comédie, le genre le plus difficile à réussir au cinéma. Non seulement on rit énormément, mais ce n'est pas que ça. En plus de cette faculté déjà ardue à maîtriser, il y a beaucoup d'émotions, de tendresse et de mélancolie au menu. Le tout étant cimenté d'un discours social dans l'air du temps où face à l'externalisation (alias la sous-traitance), le travail qui dévore tout, le machisme ambiant et le sérieux qui gangrène la société, le seul acte de résistance que l'on puisse adopter est la farce.
C'est ce que fait Winfried (Peter Simonischek), un bon vivant qui s'invite chez sa fille Ines (Sandra Hüller) en Roumanie. Cette dernière est dans des négociations très importantes pour son boulot et elle n'a pas de temps pour son paternel. Alors papa décide d'emprunter l'identité du coloré Toni Erdmann et de s'immiscer encore davantage dans le quotidien de sa progéniture!
Cette idée saugrenue, quoique quelque peu répétitive - le film d'une durée de 162 minutes est trop long - captive constamment. Il y a toujours une situation imprévisible qui arrive et ce flux de surprises enchante au plus haut point. Surtout que les gags d'une finesse et d'une intelligence rares sont souvent très drôles, exploitant un humour à la fois physique, verbal et de situations. Quelques morceaux d'anthologie arrivent vers la fin - l'anniversaire d'Ines et tout ce qui suit est touché par la grâce - et les amateurs de la série culte The Office seront ravis d'apprendre que le malaise et l'humiliation sont au coeur des calembours.
Cette marque de commerce est propre à sa cinéaste Maren Ade qui l'exploitait d'une façon plus dramatique sur son premier film The Forest for the Trees. Lors de son très bon second long métrage Everyone Else, elle décortiquait les malaises qui pouvaient régner au sein de gens qui s'aiment. Voilà qu'elle combine ces deux obsessions sur Toni Erdmann, empruntant un chemin plus ludique et ultimement révélateur. Sa mise en scène toujours juste ne fait jamais dans la surenchère et elle s'avère à nouveau une féroce directrice d'acteurs. Tous les comédiens sont époustouflants et devant le ravageur Peter Simonischek se dresse Sandra Hüller - découverte il y a une décennie dans le remarquable Requiem - qui lui tient tête d'une admirable façon.
Avec toutes ses folies, ses moments d'hilarité généralisée et sa façon désespérément jouissive d'aborder le chaos de la vie, personne ne voudra passer à côté de cette magnifique relation père/fille qui rappelle qu'il est encore possible de pondre une grande comédie, complète et centrée sur l'humanité des personnages.