Chloé Robichaud est l'une des cinéastes les plus singulières du Québec. Découverte grâce à de très bons courts métrages, elle est passée au long par l'entremise de son hilarant Sarah préfère la course en 2013. La voici enfin de retour avec le plus ambitieux Pays qui ne ressemble à presque rien de ce qui se fait dans la Belle Province.
Se déroulant au sein d'un pays imaginaire situé sur une île au large du Canada, le récit dessine le destin de trois femmes : la présidente (Macha Grenon) de l'endroit qui cherche à donner un second souffle à ce lieu ravagé par la crise économique, une jeune députée canadienne (Nathalie Doummar) désillusionnée par ce qui arrive et une médiatrice internationale (Emily VanCamp) en proie à une crise personnelle.
Jonglant avec une multitude de sujets essentiels tels que la place des femmes en politique et le mélange des sphères privées et professionnelles, Pays ressemble parfois à un Guibord s'en va-t-en guerre sans le mordant de Philippe Falardeau. Les zones intérieures et complexes des personnages sont peut-être explorées plus en profondeur, le tout ne se fait pas toujours de façon subtile. Il y a de lourds parallèles qui existent entre une joute de négociations et un match de hockey, alors que certains dialogues moralisateurs rappellent à une héroïne qu'elle est « sa propre péninsule ».
Le réel intérêt du film réside ailleurs. Dès les images de vagues qui apparaissent dans l'introduction, il est possible de partir vers l'horizon et de ne plus jamais revenir. La réalisatrice a une fascination formelle pour les cadres soignées et surtout pour les lignes. Ces traits omniprésents coincent les personnages dans leurs corps et les décors. Peu à peu elles arrivent à s'affirmer, à se libérer et les lignes se déconstruisent comme par magie.
Un effet de style qui est accompagné de moult hommages aux années 60 et 70. Les premières et les dernières scènes sont des emprunts évidents à Jean-Luc Godard. Mais il y a plus. Le dialogue maladroit du quotidien ne tarde pas à s'affirmer comme chez Woody Allen et le recours aux zooms rappelle que cette pratique un peu désuète vaut encore son pesant d'or.
La metteure en scène possède surtout ce don rare de filmer magnifiquement ses actrices et de les sublimer. Cela donne une aura particulière à la révélation Nathalie Doummar dont la prestance physique ressemble beaucoup à celle de Sophie Desmarais. Trop peu présente au grand écran, Macha Grenon est également excellente dans ce difficile rôle où tout se joue dans la sévérité du visage. La moins convaincante Emily VanCamp (l'agent 13 des deux derniers Captain America) s'avère le maillon faible du trio. Le reste de la distribution peut compter sur des performances impeccables de Serge Houde, Sophie Faucher, Alexandre Landry, Yves Jacques et Rémy Girard.
Ce qui procure le plus de plaisir dans cette aventure et ce qui risque d'en déstabiliser quelques-uns est que le long métrage se dérobe constamment aux attentes et aux classifications. Le drame humain prend autant de place que la politique. Sauf qu'un subtil humour absurde est sans cesse présent, alors qu'un suspense infernal s'étend lors de la finale. Le réalisme arrive à coexister avec la poésie et l'imaginaire décalé. Un magma en fusion franchement original qui est forcément instable et inégal, qui peut s'éparpiller, mais qui essaie quelque chose. C'est ce qu'on appelle une véritable signature et elle se fait de plus en plus rare dans le cinéma québécois. Un souffle de liberté et de sincérité pour une jeune créatrice qui sera capable de grandes choses dans ses prochains opus après avoir réglé quelques petits problèmes d'écriture.