Sept ans. C'est le nombre d'années qui séparent Tout est parfait de Noir dans la filmographie du cinéaste Yves Christian Fournier. Écrire que ce second long métrage était attendu est un euphémisme. Et là où il y a des attentes, il y a forcément des déceptions. Noir ne possède certes pas la même puissance que son prédécesseur. Avec sa bouleversante poésie nocturne, Tout est parfait s'avérait un des meilleurs films québécois du présent millénaire. Son successeur, moins original et unique en son genre, en laissera plus d'un sur sa faim. Il y a pourtant de bien belles choses à se mettre sous la dent.
Après le suicide, place à un autre sujet chaud : les gangs de rue. Ceux qui gangrènent des milieux peu aisés et qui étendent leurs tentacules insidieuses. Ils font rêver un adolescent qui cherche sa place (Kémy St-Eloy) tout en donnant des frissons à une jeune mère (Julie Djiézion) qui veut le meilleur pour son enfant. Une danseuse (Jade-Mariuka Robitaille) n'aura aucun autre choix que de frayer avec cette force omniprésente, tout comme un père (Salim Kechiouche) qui tente de se tenir loin des démons de son passé.
Des destins fragilisés où la tragédie n'est jamais loin et où l'épée de Damoclès aura le dernier mot. Des quêtes de sens un peu lisses qui n'évitent pas les clichés, les lourds dialogues moralisateurs et les personnages schématisés. Le scénario de Jean-Hervé Désiré (qui est plus à l'aise en musique) ne fait pas dans la demi-mesure et il lorgne autant vers Scorsese que Cité de Dieu, préservant peu de surprises. Le rendu final a beau être plus satisfaisant que d'autres productions québécoises similaires qui l'ont précédée (comme Sortie 67, Bumrush et La run), la mécanique coince en de nombreuses occasions, abusant des stéréotypes et des connotations simplistes. Eh oui, il y a même un personnage qui se prénomme Dickens...
Le metteur en scène compense ce fâcheux désagrément par une mise en scène alerte où il mélange le réalisme documentaire à la stylisation digne des vidéoclips. Son style grisâtre est encore une fois de la partie, tout comme les ralentis qui ont fait sa marque de commerce et ses choix musicaux exemplaires. Ce n'est peut-être pas aussi incisif que La haine ou poétique que George Washington, mais sa force d'impact est indéniable.
S'attaquer au film choral est toujours une arme à double tranchant et si elle n'a pas nécessairement la durée pour se faire valoir (à ce chapitre, l'influence de l'excellente série Treme se fait beaucoup ressentir), la progression ne manque pas de cohésion. Et comme toujours chez Fournier, il fait découvrir des acteurs extrêmement talentueux qui en imposent dans des rôles difficiles où le racisme est toujours latent. La figure la plus flagrante est la touchante Jade-Mariuka Robitaille qui passe par toutes la gamme des émotions, mettant son corps et son âme au service de cet être noble et ingrat.
La dernière scène de Noir, volontairement provocatrice et trop désireuse de faire écho à Ferguson et à une situation qui a déjà prévalu à Montréal-Nord, ne peut que décevoir. Il faut pourtant retenir l'ensemble du film et pas seulement sa conclusion. Tous les éléments étaient présents pour en faire quelque chose de majeur... ce qui n'est malheureusement jamais le cas. Néanmoins, derrière une certaine déception et frustration se cache une folle envie de transformer le réel de ce difficile milieu en art pour que l'on goûte ses vertus et que l'on connaisse enfin ses comédiens. Ça ne sert pas un peu à ça, le cinéma?