Moonlight n'est pas seulement le succès surprise de 2016. Il s'agit également d'un des meilleurs films à provenir du cinéma américain depuis très, très longtemps.
Le long métrage avait pourtant tout contre lui. Il met en scène un Afro-Américain homosexuel et sans père qui subit les foudres de son entourage. Un peu plus et on se retrouve devant un mélo indécrottable à la Precious ou un téléfilm guimauve de la semaine signé Tyler Perry.
C'était mal connaître le cinéaste Barry Jenkins, qui en avait impressionné plusieurs avec sa précédente et excellente création Medecine for Melancholy. En s'appropriant la pièce de Tarell Alvin McCraney, il offre un opus beaucoup plus libre et maîtrisé qui risque de devenir une référence en la matière, seulement dans sa façon de traiter de sujets tabous.
Dès la première scène du film, le cinéphile est soufflé par l'aisance de la caméra qui virevolte allègrement. Elle filme les corps en ébullition sans jamais tomber dans le voyeurisme, devenant un témoin privilégié de leur condition. Le souci de réalisme est de mise, tout comme cette envie d'esthétiser le milieu. Un sentiment de se retrouver devant le poétique George Washington de David Gordon Green et les premières fresques dynamiques de Wong Kar-wai (surtout Happy Together) se fait rapidement ressentir.
Séparer le récit en trois parties distinctes avec un héros qui passe de l'enfance à l'adolescence puis à l'âge adulte aurait pu être casse-gueule. Au contraire, l'ensemble est généralement fluide et organique, avec ces différentes parties qui enrichissent la suivante, un peu de la même façon que le somptueux Three Times de Hou Hsiao-hsien.
Le premier segment est toutefois le plus fort, le plus mémorable. C'est là où on découvre un style, une signature. Les envolées lyriques y sont nombreuses (la séquence de la plage est inoubliable) et tous les comédiens s'avèrent exceptionnels. Surtout ceux qui entourent le jeune Alex Hibbert qui fera l'impossible pour s'affranchir de son destin. En mentor charismatique qui n'est pas à une contradiction près, Mahershala Ali campe un viril père de remplacement et Naomie Harris est tout simplement parfaite - et toujours très crédible - en mère junkie. Malgré la dureté du sujet, la lourdeur est rarement au rendez-vous.
L'entrée dans l'âge ingrat amène quelques bémols mineurs. Encore une fois, ce n'est pas la faute de l'interprétation (le protagoniste maintenant défendu par Ashton Sanders est très bon), mais plutôt de la construction de l'histoire qui n'évite pas quelques passages obligés. Principalement lorsqu'il est question d'intimidation à l'école. Le sujet est toutefois traité avec plus de subtilité et de tact que la majorité des efforts similaires.
La conclusion offre un retour vers l'apothéose, livrant les moments les plus touchants. La quête de notre personnage principal (ici incarné par la révélation Trevante Rhodes) en est une d'amour. Il a cherché tout le long de son existence à créer des liens et il aura enfin l'espoir de lendemains plus cléments.
Sous ses airs d'oeuvre indépendante sans concession, Moonlight interroge la vie et laisse venir à elle les spectateurs en s'avérant beaucoup plus accessible que prévu. En voilà un beau et grand film américain qui marquera à coup sûr toute une génération.