Des tornades à l'infini. Un inconnu tourmenté qui erre sur le Mississippi. Le cinéma de Jeff Nichols est peuplé d'images inoubliables et après ses excellents Take Shelter et Mud, il récidive avec son très bon Midnight Special en créant une séquence d'introduction qui n'est rien de moins qu'hallucinante et qui vaut à elle seule le prix du billet.
Contrairement à ses illustres prédécesseurs, la question n'est plus de savoir maintenant si le héros se trouve dans un monde imaginaire ou s'il est seulement malade, en proie à des hallucinations. Le genre - ici la science-fiction - est totalement assumé, ce qui n'empêche pas son auteur de le traiter avec originalité et subtilité, en faisant constamment confiance en l'intelligence du spectateur qui s'amusera à recoller les morceaux.
Il pourra interpréter de différentes façons ce qui défile sous ses yeux. Un gamin de huit ans (Jaeden Lieberher) se fait kidnapper par deux hommes (Michael Shannon et Joel Edgerton), ce qui alerte rapidement les autorités, mettant principalement sur les dents un pasteur (Sam Shepard) et un agent spécial (Adam Driver). Le retrouver est une priorité et vite, avant qu'il ne soit trop tard.
Tout en abordant à nouveau un sujet incroyable sous l'angle humain et familial, le metteur en scène greffe à ce récit sensible un jeune protagoniste qui possède des pouvoirs bien spéciaux. Les spectateurs déçus par l'indigeste dernier épisode de Superman pourront panser leurs plaies avec ce simili long métrage de superhéros. Et pas seulement parce que Michael Shannon - le général Zod de Man of Steel - y apparaît plus longtemps. À l'image de Birdman, Unbreakable et Vincent n'a pas d'écailles, ce style cinématographique est transposé de façon réaliste et sans tout le tralala habituel.
La véritable clé réside cependant dans les années 70 et 80. Impossible de ne pas établir de corrélations avec le cinéma de Steven Spielberg, Close Encounters of the Third Kind et E.T. en tête. La seule comparaison qui se tient est pourtant avec le bien-aimé Starman qui mettait en vedette Jeff Bridges. Cette fois, le possible sauveur extraterrestre n'est plus le père, mais le fils, ce qui permet de prendre l'effort comme une allégorie religieuse où foi et science se confrontent. La superbe musique parsemée de synthétiseurs évoque celle de John Carpenter et il s'agit également d'un road-movie, dont la photographie soignée finit par rappeler le Badlands de Terrence Malick.
Midnight Special étant surtout un film d'ambiance et d'atmosphère, il n'est pas rare de voir l'histoire tourner à vide par endroits. La trame narrative use de transgressions au lieu de se concentrer sur son héros et le rythme pas toujours soutenu se fait ressentir à mi-chemin, lorsque le personnage campé par Kirsten Dunst fait son entrée. L'ensemble finit toutefois par se ressaisir, s'en allant vigoureusement vers une conclusion implacable jusqu'au moment où une avalanche d'effets spéciaux un peu trop envahissants freinent la force de frappe poétique qui perdurait jusque-là.
Une légère douche froide qui s'évapore devant une dernière scène bouleversante d'humanité. Un plan délicat et difficile que seul pouvait transmettre un immense acteur. Michael Shannon a tourné dans tous les longs métrages du cinéaste depuis son trop peu connu Shotgun Stories et il livre une autre performance exceptionnelle. Voilà un duo qui n'a rien à envier à celui, beaucoup plus glamour, de Martin Scorsese et Leonardo DiCaprio.
Sans doute moins immédiat que Take Shelter et Mud, Midnight Special diffuse un poison latent qui fait son effet des heures après la tombée du générique. C'est à ce moment que les souvenirs du film commencent à obséder et que le désir de le revoir se fait ressentir. Jeff Nichols est véritablement en voie de devenir le réalisateur américain indépendant le plus intéressant de sa génération et il le prouve avec cet opus de qualité supérieure.