Au cinéma, l'âge est possiblement le pire ennemi des actrices. Dans sa jeunesse, la mythique comédienne Louise Marleau brillait ardemment devant la caméra de Léa Pool (La femme de l'hôtel, Anne Trister) et dans des films aussi différents que L'arrache-coeur et Cruising Bar. Sauf que depuis deux décennies, elle n'a pratiquement eu aucun rôle marquant. Jusqu'à Mes ennemis où elle n'a peut-être plus 40 amants comme dans Une histoire inventée d'André Forcier, mais au moins neuf.
Elle prête ses traits à une pianiste déchue et alcoolique qui accueille dans son immense demeure des hommes blessés par la vie. Une de ces âmes damnées (Frédéric Lemay) est un jeune écrivain qui vient tout juste de rompre avec son amoureuse et qui désire terminer son premier roman. Malgré leur différence d'âge d'un demi-siècle, une relation passionnelle et orageuse se développe entre eux.
En apparences, Mes ennemis s'inscrit dans un réalisme social, âpre et crû à la façon de L'amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean, avec un soupçon de poésie urbaine qui le rapproche de La rage de l'ange de Dan Bigras grâce à la très jolie photographie de l'expérimenté Michel La Veaux. Tout n'est pourtant qu'illusions. Le rêve, le fantasme et la fiction prennent rapidement d'assaut la réalité, ce qui donne des distorsions surprenantes. L'univers n'est subitement plus le même, lorgnant soudainement vers le conte et il faudra s'habituer ou être largué.
Ce n'est toutefois pas évident d'y trouver une quelconque attache. Son cinéaste Stéphane Géhami a abandonné le style nerveux de son précédent En plein coeur pour embrasser une théâtralité proche de celle des premiers longs métrages de Rainer Werner Fassbinder. Sans toutefois la maîtrise technique qui fait toute la différence. Sa caméra capte peut-être toute l'intimité, l'intériorité et la solitude de ses personnages lors de longs plans révélateurs et l'introduction en forme de lever de rideau ne manque de séduire, or la magie opère difficilement.
Les interprètes chargent trop souvent la note, récitant la plupart du temps. Dans cette faune de choeurs grecs masculins qui prennent la forme d'archétypes désincarnés se tiennent la bouillante Louise Marleau et le plus frêle Frédéric Lemay qui n'arrive jamais à l'égaler. Plus dommageable encore est le scénario ampoulé qui s'égare aisément. Les thèmes traités - le vieillissement, l'attachement, la marginalité, l'amour comme guérison ultime - sont si importants alors que l'exécution laisse à désirer. Plusieurs dialogues sonnent faux et d'autres, beaucoup trop appuyés, ne font que répéter ce qui était déjà si limpide.
Insolent à ses heures, parsemé de tendresse et d'authenticité, Mes ennemis est un film indépendant qui a de nombreuses choses pertinentes à dire, mais qui le fait de façon beaucoup trop gauche, maladroite et imparfaite. Louise Marleau enflamme peut-être l'écran, l'oeuvre qui peut ressembler à une version désespérée et désespérante d'Harold et Maude n'est pas toujours là pour lui rendre service.