Cela fait des années qu'on attend le premier film de Karl Lemieux. Ce réalisateur québécois a fait sa marque dans le court métrage et les vidéoclips, se forgeant un univers authentique, reconnaissable entre tous.
Il est clairement identifiable dans Maudite Poutine. Encore une fois, on assiste à un véritable combat entre le noir et le blanc de sa magnifique photographie (la pellicule 16mm est tout simplement somptueuse). Le rythme lancinant invite le spectateur à se perdre dans ce trip sensoriel parfois très intense et angoissant. Le récit qui épouse une pièce de post-rock - pourquoi pas du groupe culte montréalais Godspeed Your! Black Emperor, qui figure au générique - est peuplé de montées dramatiques et de moments plus tempérés, mêlant inquiétude et envoûtement.
On a donc affaire ici à une véritable oeuvre expérimentale, riche et poétique, qui fascine à de nombreux moments sans fonctionner totalement comme un film à part entière. Impossible de passer sous silence l'incroyable introduction muette qui plonge immédiatement le cinéphile dans le feu de l'action. L'ambiance gothique est incendiaire, l'atmosphère souvent oppressante et cette sensation de fin du monde revient périodiquement hanter les âmes qui vivent. Et il y a évidemment cette libératrice scène finale, encore une fois sans parole, qui happe par tant de beauté et son mince filet d'espoir.
Entre ces deux sommets se dresse une intrigue pas dénuée d'intérêt quoiqu'un peu maladroite, sur un jeune homme (Jean-Simon Leduc) et ses amis musiciens qui doivent de l'argent au crime organisé. Malgré l'apport de bons comédiens (Francis La Haye, Martin Dubreuil, Robin Aubert, Marie Brassard et Alexa-Jeanne Dubé), c'est lorsque les individus parlent que le bât blesse. Les dialogues manquent de maîtrise et le scénario de profondeur.
On se surprend également à y déceler une variation encore plus trash sur le Tu dors Nicole de Stéphane Lafleur. L'étrangeté et l'absurdité se mêlent au quotidien et si le drame finit par prendre le dessus sur le reste, nos héros sont plongés dans un même vide existentiel, un même désir de partir qui s'avère impossible. Seule la banlieue a été remplacée par la ruralité. Les personnages sont très similaires et le rêve - qu'il soit fantasmé ou sous l'effet de légendes urbaines - demeure le principal échappatoire. Des cauchemars qui se rapprochent davantage des obsessions de David Lynch, principalement celles de Lost Highway.
Hypnotisant objet esthétique qui aurait mérité d'être resserré, Maudite poutine est un trip presque unique dans le cinéma québécois, qui donne le goût de voir le prochain long métrage de Karl Lemieux. Voilà enfin un cinéaste qui ose et qui fait confiance au pouvoir de ses images et de sa trame sonore. C'est lorsque les mots font leur apparition au sein d'une histoire traitée de façon plus classique que les problèmes apparaissent. En compagnie du ludique Prank et de l'électrochoc Ceux qui font les révolutions à moitié n'ont fait que se creuser un tombeau, il s'agit d'un autre volet très original, fort valable et recommandable sur la jeunesse d'aujourd'hui.