Vivre dans l'ombre de son frère ne doit pas toujours être évident. Parlez-en à Casey Affleck qui a toujours eu plus de talent que Ben, mais qui est beaucoup moins connu. Il était pourtant excellent dans Ain't Them Bodies Saints, Out of the Furnace, The Killer Inside Me et autres The Assassination of Jesse James... Son heure de gloire risque d'arriver avec Manchester by the Sea où il sera - à moins d'une injustice majeure - nommé aux Oscars.
Ce serait pleinement mérité tant le comédien explore tous les registres du jeu. D'antihéros fatigué qui devient contre son gré le tuteur de son neveu, il est d'une perfection remarquable. Sa performance très physique s'accompagne d'une intensité tranquille. Le volcan est là, prêt à exploser, et il ne le fait que rarement. Une subtilité de tous les instants qui est à l'image du film.
Troisième long métrage du surdoué Kenneth Lonergan, Manchester by the Sea continue à construire un admirable édifice commencé par le sublime You Can Count On Me et le chef-d'oeuvre méconnu Margaret (on parle ici de la version longue de trois heures, pas celle présentée au cinéma). L'être humain est toujours au centre de ses préoccupations et avec lui tout ce qui compose ses joies et ses peines. Dans des mains moins compétentes, son scénario qui porte sur le chagrin et l'amertume aurait donné un téléfilm larmoyant. Ce n'est jamais le cas tant le script superpose presque continuellement la déchirante intimité émotionnelle et un humour salvateur. Comme la vie, bonheur et tristesse se succèdent au tournant et cette finesse authentique du regard s'avère extrêmement poignante.
En prenant son temps (le récit s'étend sur 140 minutes), le cinéaste permet à ses personnages d'exister réellement. Ils s'incarnent dans leurs actions et leurs dialogues, même pour ceux (Kyle Chandler) et celles (Michelle Williams) que l'on ne voit qu'avec parcimonie et qui demeurent toujours parfaits. Lucas Hedges est une véritable révélation en adolescent éprouvé et il a toutes les qualités pour devenir le prochain Matt Damon (qui agit ici en tant que producteur, alors qu'à l'origine il devait être le réalisateur et l'acteur principal).
Contrairement à un opus de Tom Ford ou de Denis Villeneuve qui laisse toute la place à la mise en scène, celle de cette création refuse le parti pris de l'esthétisme et du spectaculaire. Cela ne l'empêche pas d'être techniquement impeccable. Un peu comme chez Claude Sautet, la réalisation baigne dans l'huile. Elle semble si simple, si classique, bien qu'il existe un immense travail derrière. Les retours dans le passé s'intègrent aisément au présent et lors de moments cruciaux, le cinéaste n'hésite pas à forcer la note avec ses mélodies classiques qui deviennent de véritables hyperboles qui frappent à coup sûr les esprits.
Dans une année cinématographique où les meilleurs films étasuniens - comme Moonlight - sont ceux qui sont en apparence les plus «normaux», Manchester by the Sea se trouve tout en haut de la liste. Voilà une oeuvre miraculeuse, tendre et belle, honnête et vraie, qui rappelle la nécessité de prendre soin des autres. Son coeur est si grand, son humanité si inspirante qu'il est impossible d'y résister. De quoi rappeler que Casey Affleck et Kenneth Lonergan appartiennent à la crème de la crème du septième art américain.