Cette année, la sélection de la Corée du Sud aux Oscars est The Age of Shadows, le fort intéressant nouveau film de Kim Jee-woon (A Tale of Two Sisters, I Saw the Devil) qui s'avère un croisement entre Infernal Affairs et Inglourious Basterds et qui a pris l'affiche trop discrètement en salle. On aurait préféré y retrouver le fabuleux Mademoiselle (The Handmaiden) de Park Chan-wook (Oldboy). Comme son rival, ce long métrage se déroule dans les années 30 pendant la soumission de la Corée au Japon et il est ponctué de secrets, de révélations tragiques et de trahisons incessantes.
Après avoir adapté le classique Thérèse Raquin de Zola avec des vampires sur Thirst, le cinéaste récidive en s'appropriant le roman victorien Fingersmith de la Galoise Sarah Waters. Ce grand romantique tordu - son précédent Stoker n'était-il pas une lettre d'amour au cinéma d'Hitchcock? - y trouve là toutes les munitions pour créer une immense romance, beaucoup plus sombre que sur son trop peu vu I'm a Cyborg But That's Ok. Alors que tous les hommes se disputent la fortune de la mademoiselle du titre (qui est incarné par Kim Min-hee, déjà magnifique dans le savoureux Right Now, Wrong Then du génial Hong Sang-soo), c'est peut-être sa servante (Kim Tae-ri, une prometteuse nouvelle venue) qui aura le dernier mot.
Ce conte féministe à la Rashômon structure son récit en trois parties, où la vision d'un personnage enrichit et modifie l'action. Ce qui ressemble à un dérivé de Carol emprunte des chemins surprenants et malsains. S'il mélange à nouveau tous les genres possibles et inimaginables en y injectant une bonne dose d'humour noir, Park Chan-wook n'aura pas été aussi politisé que sur Joint Security Area qui l'a fait connaître au début du présent millénaire. Ces luttes de pouvoir entre hommes et femmes, entre riches et pauvres trouvent un écho incroyable dans la relation de dominance et de dominé qui peut exister entre le Japon et la Corée.
Pas surprenant alors que la vengeance soit encore au coeur des enjeux pour remédier à la situation. Surtout pas chez le créateur de Sympathy for Mr. Vengeance et de Lady Vengeance. Elle apparaît plus douce et contrôlée que sur ses prédécesseurs, si on fait abstraction de quelques dérangeantes scènes tardives. Elle est plus intrinsèque, insidieuse et viscérale, remplaçant la violence par le sexe. Passion et fantasmes s'expriment librement à l'aide de mots fédérateurs et de moments érotiques façon La vie d'Adèle. Le tout est enveloppé d'une réalisation somptueuse et sophistiquée, qui pourrait paraître maniérée et empesée par endroits, mais qui touche régulièrement la perfection par la magnificence de ses images et de sa trame sonore.
Mademoiselle ne comporte pas seulement une des plus belles bandes-annonces de la décennie : il s'agit également d'un des films les plus jouissifs de l'année. Un thriller lesbien profond et nuancé qui est visuellement splendide et qui manipule constamment ses personnages et le spectateur. En espérant que cela ouvre la porte au septième art coréen qui se fait si rare sur nos écrans. Les cinéphiles ont besoin d'avoir accès aux opus de Bong Joon-ho (Mother) et de Na Hong-jin (The Wailing), de Kim Ki-duk (Pieta) et autres Lee Chang-dong (Le poème).