Quiconque a vu Les signes vitaux se rappelle d'un des meilleurs films québécois des dernières années. Une oeuvre bouleversante sur la solitude, le sens de l'existence et la nécessité de créer des liens, avec une héroïne qui assiste à ce bref passage où la vie s'engouffre dans la mort. Des sujets qui sont toujours présents et traités avec sensibilité dans Les loups, le nouveau long métrage de Sophie Deraspe.
Beaucoup plus ambitieux, ce nouveau projet se déroule aux Îles de la Madeleine, alors qu'une jeune femme de la grande ville (Evelyne Brochu) cherche à renaître de ses cendres au contact d'une communauté suspicieuse. Des individus qui se regroupent tels des loups, capables du meilleur comme du pire, où le sens de la famille prend une nouvelle tournure.
Comme toujours chez la talentueuse cinéaste (à qui l'on doit Rechercher Victor Pellerin et Le profil Amina), le réel est inscrit dans la génétique de la fiction. Le sort difficile des gens en région n'est pas épargné, tout comme leur style de vie particulier. Ils pêchent en bravant les éléments et chassent des phoques, ce qui donne quelques scènes plus difficiles à supporter. Un regard presque documentaire qui évite le pamphlet d'usage ou la vision plus romantique vis-à-vis ces moeurs et coutumes.
Ce souci du détail n'est pas seulement d'ordre sociologique ou économique. De nombreux comédiens non professionnels donnent la réplique aux acteurs accomplis et on ne sent jamais le débalancement. Evelyne Brochu trouve peut-être le grand rôle mature qu'elle méritait tant, elle ne relègue pas pour autant aux oubliettes la nouvelle venue Cindy Mae Arsenault. Benoît Gouin, Gilbert Sicotte et Louise Portal brillent, car on ne voit pas les interprètes, mais leurs personnages. Ils se fondent aisément dans le lot, alimentant des repas et des conversations d'un réalisme criant.
Bénéficiant de paysages à couper le souffle, la réalisatrice qui est également directrice de la photographie à ses heures laisse une place prépondérante à la nature. Cette dernière ne fait qu'un avec l'être humain, rappelant l'ordre des choses en remettant à l'avant-plan cet éternel cycle de la vie qui n'épargne rien ni personne. Son symbolisme n'est pas toujours subtil (cette glace qui se brise et qui dérive comme sa protagoniste, cette fin trop explicative), ce qui n'enlève rien aux pouvoirs évocateurs des images et des thèmes écologiques, se situant quelque part entre le cinéma de peinture de Catherine Martin et les obsessions environnementales du maître de l'animation japonaise Hayao Miyazaki.
Suivant une multitude de quêtes - identitaires, du père, des autres, de la vie et de la nature - sans jamais se fourvoyer, Les loups fait figure de belle réussite de la part de Sophie Deraspe. On aime peut-être davantage son art plus brut, moins parfait. Ce qui est gagné en assurance est légèrement perdu au niveau de l'émotion. Mais qu'importe! En faisant des films aussi englobants et convaincants que Les signes vitaux et celui-ci, elle confirme qu'elle est une des créatrices québécoises les plus stimulantes du moment.