On ne peut pas demeurer au sommet éternellement. Un jour ou l'autre, il faut redescendre de la montagne et affronter la tempête. Cette traversée du désert peut durer des années, même des décennies. C'est le cas de Steven Spielberg qui est en panne d'inspiration depuis 2005. Entre un quatrième épisode d'Indiana Jones qui laissait à désirer, l'horripilant War Horse, l'inégal The Adventures of Tintin et le verbeux Lincoln, le grand cinéaste doit être nostalgique des nombreux classiques de son passé. Et ce n'est pas avec Bridge of Spies qu'il retrouvera la fougue d'antan.
La première partie très convaincante de son dernier effort laisse pourtant présager un film dans la lignée de son implacable Munich. La scène d'introduction est impressionnante dans sa façon de présenter une filature qui tourne parfois mal. La force du montage et des images est telle que les mots deviennent superflus. Le suspense prend toute la place et c'est la meilleure façon de river le spectateur à son siège.
Dès que la situation se calme, l'histoire se développe avec aisance et elle concerne un homme (Mark Rylance) qui est arrêté à Brooklyn pendant la Guerre froide et qui est accusé d'être un espion russe. Tout le monde le croit coupable, son procès risque d'être une farce et même son avocat (Tom Hanks) se fait menacer pour avoir pris sa défense. Difficile ici de ne pas repenser à une version contemporaine du classique 12 Angry Men. L'homme seul face au système, l'État qui a le pouvoir d'oublier ses propres lois en faisant régner la peur et la paranoïa. Comme simulacre de la démocratie, les échos au monde d'aujourd'hui sont nombreux.
Les échanges entre l'accusé et son avocat sont certainement les éléments les plus intéressants du long métrage. Mark Rylance incarne un personnage complexe et subtil et l'acteur anglais livre toute une prestation. Face à lui se tient le sobre Tom Hanks qui est également très juste même s'il incarne un protagoniste beaucoup trop parfait pour être crédible. Le comédien sait toutefois comment ressembler à monsieur tout le monde et il le prouve à nouveau dans ce rôle qu'aurait défendu à une autre époque James Stewart (il l'avait d'ailleurs un peu fait dans le truculent Anatomy of a Murder). Seule la musique pompeuse, envahissante et insistante de Thomas Newman vient surligner les enjeux et les messages, faisant soupirer au passage.
Cette histoire vraie écrite par Matt Charman (son précédent scénario Suite française demeurait potable) et les disjonctés frères Coen ne se limite malheureusement pas à ce tronçon juridique. Lorsqu'un pilote américain tombe entre les mains de l'URSS et qu'un étudiant se trouve du mauvais côté du mur de Berlin, il faudra les secourir et c'est notre héros qui préparera le terrain afin de faciliter une transaction "d'espions". Cette seconde section beaucoup plus faible que la précédente ne convainc jamais réellement tant toutes les actions sont ponctuées d'invraisemblances hollywoodiennes bon marché. Changer de pays se fait en un tour de main et les séquences symboliques - sur le pont du titre ou lorsque des gens tentent de franchir cette zone dangereuse entre les deux Berlin - n'ont pas la puissance d'évocation d'un War of the Worlds ou d'un Saving Private Ryan.
Le tout se termine, comme trop souvent chez Spielberg, par une finale sirupeuse, consternante et appuyée. Celle-ci est une de ses pires en carrière, car elle dénature ce qui précède. Pendant la majorité du récit, le metteur en scène se questionne sur le fait d'être américain en critiquant ses dérives et ses largesses. Mais il excuse tout à ses concitoyens qui jouent au sauveur en ignorant plusieurs règles élémentaires. Comme quoi tout le monde peut devenir un héros obscur et qu'en le faisant, cela permet de rétablir la confiance de son épouse et regagner le respect de ses enfants...
Dans l'ensemble, Bridge of Spies est un film respectable. Une bénédiction pour Steven Spielberg qui n'a rien fait de très convaincant depuis longtemps. C'est seulement incroyable qu'avec Tom Hanks devant la caméra et les frères Coen au scénario, il ne soit pas ressorti quelque chose de mieux.