À une époque où il n'y a jamais eu autant de films qui voient le jour, l'originalité est une denrée rare. Une vertu qui fait presque peur alors que les concepts nouveaux ne semblent pas rapporter autant que les suites, les antépisodes et les remakes. Qui ose nager à contre-courant risque d'être récompensé et c'est le cas du savoureux The Lobster, qui a remporté le prix du Jury au dernier Festival de Cannes.
Le long métrage se déroule dans un avenir prochain dystopique où tout le monde doit absolument être en couple. Ceux et celles qui dérogent à cette règle sont envoyés dans un "hôtel" où ils auront 45 jours pour trouver un partenaire qui leur ressemble, sinon ils vont se métamorphoser en l'animal de leur choix. Les cobayes peuvent rajouter du temps à leur espérance de vie en chassant - à la façon de la série The Hunger Games - des marginaux solitaires.
Une prémisse loufoque, excentrique et surréelle pour cette satire décalée et acidulée de la vie en communauté. Le rire est profond et intelligent. Notre pauvre héros (incarné avec beaucoup de subtilité par Colin Farrell) vit avec son frère qui s'est transformé en chien - le symbole par excellence des animaux de compagnie pour une personne célibataire - et il hésite entre séduire n'importe qui pour seulement survivre ou suivre les élans de son coeur. Avec les succulents John C. Reilly et Ben Whishaw qui se trouvent dans la même situation que lui, le trio expérimentera avec humour et folie les dérivées d'une société humaine qui n'est pas si loin de la nôtre.
À mi-chemin du récit lors d'un étonnant revirement de situation, notre protagoniste prend la clé des champs et il se joint à des résistants anarchistes qui proscrivent les relations amoureuses. De la comédie si rafraîchissante et imprévisible, l'ensemble se mute en romance mignonne et attendrissante qui n'a toutefois pas le même impact. Le scénario brillant se résorbe quelque peu, ce qui n'empêche pas l'intérêt de perdurer. Colin Farrell développe un béguin réciproque avec la toujours sublime Rachel Weisz, ce qui ne fait pas l'affaire de l'omniprésente Léa Seydoux (qui est égale à elle-même). Une seconde partie moins marquante avec son symbolisme éprouvé (entre autres sur la cécité et le sacrifice) qui est tout de même plus élaborée que la plupart des productions qui sortent régulièrement sur les écrans de cinéma.
La réalisation élégante aux plans larges et aux ralentis sans fin laisse l'espace nécessaire aux superbes paysages naturels pour prendre la place qui leur revient. La musique classique utilisée de façon ironique fait sourire. Le metteur en scène Yorgos Lanthimos a toujours aimé pondre des efforts différents qui bouleversent le cadre établi (c'était le cas de son excellent Canine qui l'a révélé au grand jour et de son moins abouti Alps) et il révèle ici une nouvelle facette de son talent. Voilà probablement le cinéaste grec le plus prometteur depuis le regretté maître Theo Angelopoulos.
The Lobster aurait pu être plus profond, moins ludique. La réflexion sur les obsessions du couple n'est pas toujours très élaborée et l'incroyable idée de départ se dégonfle avant la fin. Il y a pourtant suffisamment de belles choses à se mettre sous la dent au sein de cette fable qui ne ressemble à rien d'autre et qui ravit constamment par tant d'imagination.