Changer de registre et débarquer là où personne ne nous attend. L'idée est vieille comme le monde et elle a permis à plusieurs acteurs de surprendre leurs admirateurs et même de remporter des Oscars. Quoi de mieux que de jouer au caméléon et de passer de la lumière à la noirceur pour rappeler que oui, on possède du talent? C'est ce que Guillaume Canet fait dans La prochaine fois je viserai le coeur et cette métamorphose est aussi brillante qu'inquiétante.
Reconnu pour être le compagnon de Marion Cotillard et, accessoirement, le gentil par excellence de plusieurs films surévalués comme Joyeux Noël et Jappeloup, Guillaume Canet veut être pris au sérieux. Le meilleur moyen d'y arriver est d'incarner des méchants. Ceux qui sont angéliques et diaboliques. Il le fait à la perfection dans ce polar glauque inspiré d'une histoire vraie où il est à la fois un tueur en série et le gendarme qui aimerait tant s'arrêter! Une dualité permanente qui est crédible grâce au jeu sobre et prenant de son interprète. Il était déjà passé par là dans le solide L'homme qu'on aimait trop d'André Téchiné, mais jamais de cette façon.
Sans se hisser à la hauteur de son antihéros, le long métrage n'a pas à rougir du travail qu'il accomplit. Le réalisateur et scénariste Cédric Anger (Le tueur, L'avocat) signe l'essai le plus accompli de sa jeune carrière et il accouche d'une oeuvre solide et maîtrisée. Son admiration pour le cinéma du maître Jean-Pierre Melville est encore palpable, ce qui donne une atmosphère forte en gueule et une ambiance oppressante. Son parti pris d'adopter le point de vue du tueur aurait pu verser dans la complaisance et le sensationnalisme. Ce n'est jamais le cas et sa mise en scène glaciale, extrêmement réaliste et profondément humaine, ne tarde pas à rendre mal à l'aise.
En adoptant un ton davantage behavioriste que psychologique, le récit choisit de montrer au lieu d'expliquer. Un choix qui vaut son investissement malgré un scénario hésitant. Romancer est normal dans une oeuvre de fiction inspirée de la réalité et entre la description du quotidien qui évoque le documentaire et celui, plus conventionnel, où le protagoniste se fait humilier par sa famille et qu'il tente de trouver une amoureuse, il y a un décalage qui freine l'effort. Surtout que ce dernier, après avoir démarré sur les chapeaux de roues avec une introduction horrifiante, n'évite pas les redites et qu'il finit un peu par tourner en rond.
Ces répétitions permettent de palper cette folie en sourdine où le démon dévore l'ange et qu'il ne fait qu'une bouchée de ses proies. Qui eut crû que cette bête sauvage pouvait arborer le visage de Guillaume Canet? En ouvrant cette boîte de Pandore damnée, le comédien fait ressortir plein de choses qu'on ignorait à son sujet - qu'il peut par exemple être juste et même talentueux - et il y trouve facilement son meilleur rôle en carrière. Il y aura certainement pour lui un avant et un après La prochaine fois je viserai le coeur.