Il y a un excellent film caché quelque part dans L'origine des espèces. Ce n'est toutefois pas celui qui figure dans le montage final. Que s'est-il donc passé?
Ce déroutant projet à saveur autobiographique tourné il y a deux ans et qui devait s'appeler Lièvres s'approprie tous les clichés de la typique production québécoise - quête du père, suicide, odyssée identitaire, filiation - pour mieux les détourner. Enfin une oeuvre d'ici qui ose les ruptures de ton, passant du drame psychologique au thriller familial, du rire absurde aux malaises.
On en aurait même pris davantage. Dominic Goyer, qui signe son premier long métrage après des courts remarqués, admire visiblement le cinéma de Bertrand Blier et d'Andrzej Zulawski et il semble sans cesse se limiter, se censurer. L'effort aurait été davantage éclatant s'il avait été plus intense, plus grotesque, plus trash encore.
Cela aurait permis de moins remarquer la maigreur du scénario. La prémisse qui débute comme une tragédie grecque pousse un jeune père (Marc Paquet) à se questionner sur ses racines. Un personnage qui s'apparente au Candide de Voltaire et qui sera entaché au gré de son périple. Il passera par une multitude de rencontres et de séquences inutiles afin de mieux cerner le parcours de sa mère, finissant par côtoyer la chair de son sang.
Le suspense qui en découle n'est pas seulement prévisible: il se perd dans ses incohérences et ses nombreux fils blancs. Le cinéaste ne s'embarrasse ni de psychologie ni de réalisme, privilégiant une approche théâtrale. Elle ne sied cependant pas à cette conclusion où les rebondissements semblent provenir d'un mauvais téléroman. Déjà qu'il fallait accepter des dialogues douteux ("le suicide fait mal"? Évidemment!) et les personnages secondaires extrêmement typés (pauvre David La Haye!).
C'est d'autant plus triste que la qualité générale de l'interprétation est soutenue. Élise Guilbault amène une force vitale à sa courte mais primordiale présence, alors que Marc Béland la complète parfaitement dans le rôle de son époux. Marc Paquet peut paraître frêle en héros, il se débrouille plutôt bien avec sa partition limitée. Il est amené à se dépasser grâce à la pétillante Sylvie De Morais qui campe son amoureuse et que l'on aimerait voir plus souvent au cinéma.
Le travail de Goyer est également plus que compétent, se forgeant rapidement un univers qui lui est propre. S'il y a beaucoup trop de musique dans la première partie, sa réalisation statique et froide où la neige cristallise les émotions met bien en évidence qu'il y a quelque chose de faux au sein de ce clan. La cloche de verre ne tarde pas à se fissurer et la mise en scène devient alors plus organique. L'auteur offre de la poésie macabre lors de sensibles séquences animées qui se veulent beaucoup trop appuyées et explicatives. Et lorsqu'il trouve des pistes intéressantes à explorer (on entre presque dans la fable et le mythe lorsqu'il est question de Wolfa, la femme loup de la campagne), c'est pour mieux les abandonner par la suite.
Il y a un peu de David Lynch et de Yorgos Lanthimos dans ce projet hors norme qui n'est malheureusement jamais vraiment satisfaisant. Une matière brute plus soignée et un réel désir de transgression auraient pu le transformer en Confessionnal de son époque. On en sera quitte pour une carte de visite de son créateur qui a un talent certain et qui a peut-être seulement besoin d'un meilleur cadre pour l'exploiter.