Dans le cinéma français actuel, les monstres sacrés sont peu nombreux. Il n'y a que Gérard Depardieu, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Juliette Binoche et Fabrice Luchini. Ce dernier s'est construit une carrière envieuse grâce à Éric Rohmer et sa passion des mots, devenant toutefois au fil des années une simple caricature de lui-même. François Ozon a beau lui avoir confié des personnages intéressants (Dans la maison, Potiche), le réflexe est fort de retrouver son éternel bougon misanthrope (comme dans Gemma Bovery et les derniers longs métrages de Philippe Le Guay). C'est ce qui faisait peur avant de voir L'hermine et cette crainte n'est heureusement pas fondée.
Au contraire, celui qui s'est mérité un prix d'interprétation pour ce rôle au dernier festival de Venise la joue sobre et cette attitude lui va comme un gant. Incarnant un intraitable président de la cour d'assises dont le récent rhume symbolise parfaitement cette méfiance des autres à son égard, l'acteur apparaît tout à fait dans son élément. Il possède les verbes mordants pour se sortir du pétrin, mais également les mimiques et la démarche, les regards de chiens battus et ceux où il s'affole autour de son os.
Il retrouve un quart de siècle après le très frais La discrète le cinéaste Christian Vincent, qui n'a rien réalisé de très concluant depuis des lustres (sa précédente création, Les saveurs du palais, avait cependant remporté un joli succès public). Comme souvent chez lui, sa mise en scène délicate et classique n'est qu'un prétexte à un scénario nourri, peut-être son plus riche depuis son sommet La séparation en 1994, judicieusement récompensé à la Mostra.
Le récit à tendance sociale semble complètement épouser la voie juridique. Celle du héros qui doit présider une épineuse affaire où un père est accusé d'infanticide. Le procès qui s'ensuit met tout le monde sur les dents, principalement les membres du jury qui en sont à leur première expérience en la matière. Quelques séquences de questionnements peuvent rappeler l'illustre 12 Angry Men de Sidney Lumet, sans pour autant damer le pion à cette présentation presque anthropologique des rouages de la justice. Une explication quelque peu longuette et répétitive qui se plaît à cacher quelque chose. Mais quoi?
Il ne faut évidemment pas se fier aux apparences. Toute cette démonstration n'est que de la poudre aux yeux. Un coup de théâtre où les enjeux se trouvent ailleurs. Le protagoniste connaît bien une des jurées et l'instant de deux rares scènes intimistes, ils arrivent à remonter le fil du temps. Cette fine romance, touchante et enivrante, peut rappeler le cinéma de Claude Sautet par sa sincérité mélancolique et ce sont ces moments que le spectateur retient avec lui. Cette façon où l'impérial Fabrice Luchini baisse enfin sa garde et qu'il laisse la place qui lui revient à la sensible Sidse Babett Knudsen. L'exquise comédienne danoise est peut-être connue pour la série télévisée Borgen, bien que la plupart de ses apparitions au grand écran - notamment dans Après la noce et The Duke of Burgundy - ont marqué les esprits. Ce qu'on aurait aimé la voir davantage dans cette performance qui lui a mérité le César de la meilleure actrice dans un second rôle!
Naviguant constamment entre ces univers personnels et professionnels qui sont d'inégale valeur, L'hermine peut se perdre en cours de route. Le film est ramené dans le droit chemin par deux interprètes irréprochables qui font en sorte qu'on ne voit qu'eux et non les défauts qui ponctuent l'histoire. Et ça marche plus souvent qu'autrement.