Ce n'est pas le sujet qui fait un film, c'est son traitement. Cet adage s'adresse particulièrement à Gurov et Anna, le sixième long métrage de Rafaël Ouellet. Parler de l'adultère, un des plus vieux thèmes du monde, peut être casse-gueule. Surtout lorsqu'il est question d'un professeur, marié et père de famille, qui en pince pour sa jolie étudiante. Bonjour les clichés, les scènes que l'ont a déjà vues trop de fois.
Le désir d'offrir autre chose se fait heureusement ressentir. Cette relation amoureuse s'enracine dans la nouvelle La dame au petit chien de Tchékhov. Il y a ainsi tout un jeu sur l'écriture et la création. Les personnages cherchent à embellir leur existence en se tenant du côté de la fiction, du rêve et du fantasme. Ils projettent leur lecture, remplissant leur vie qu'ils trouvent vide et ennuyante.
Un parti pris qui tient la route dans la première moitié de la production. Même s'il n'a jamais situé ses histoires à la ville, l'hiver, en passant allègrement de l'anglais au français, le cinéaste s'en sort plutôt bien. On n'est plus dans le réalisme de Camion ou l'exploration de Finissant(e)s, mais dans une fiction pleinement assumée, léchée et lustrée, qui enjolivent les comédiens. Les individus sont au coeur de cet échiquier érotique et le couple en place se nourrit allègrement l'un de l'autre. Andreas Apergis, trop peu connu du milieu du cinéma québécois francophone, étonne en enseignant passionné qui embrasse peu à peu l'obsession. Face à lui se dresse la sublime Sophie Desmarais, qui n'a pas toujours trouvé des rôles à sa hauteur et qui accapare tous les regards. On ne voit qu'elle, son minois si particulier, égérie d'un Truffaut qui serait tombé sur la tête. Un duo toxique comme pouvait l'être celui de Derrière moi, effort qui a révélé Ouellet.
Dommage alors que le récit expose ses limites avant la fin. Pour la première fois, le metteur en scène a travaillé le scénario d'un autre (en l'occurrence celui de Celeste Parr) et il se dégonfle lentement, mais sûrement. Les personnages si forts au début finissent un peu par manquer de conviction et de profondeur, alors que les situations s'embrouillent en ne s'avérant pas toujours crédibles, à l'image des dialogues trop écrits dont le côté littéraire rend la progression moins naturelle.
Des défauts que le réalisateur tente d'ensevelir sous ses influences. À Closer, bien entendu, mais également à Une passion de Bergman (le maître fétiche du créateur) et à La double vie de Véronique de Kieslowski pour le traitement de la lumière et de l'atmosphère. Il y a même un plan qui est découpé de la même manière que dans Mardi, après Noël, ce très beau film roumain qui traitait également d'un adultère entre un homme d'âge mûr et une jeune femme sans attache.
Jeu de séduction entre le besoin de changer de peau et de vivre à travers l'art, Gurov et Anna est une oeuvre pas tout à fait au point qui permet toutefois à Rafaël Ouellet de s'essayer dans un tout autre registre. On s'ennuie un peu de son style d'antan qui a atteint des sommets avec New Denmark, ce qui n'est pas une raison pour ne pas vouloir le suivre à la ville. Surtout s'il est pour filmer Sophie Desmarais comme personne ne l'a fait auparavant.