Chaque année, la France sélectionne pour les Oscars un drame au sujet important (tels Mustang et Entre les murs) ou une comédie au traitement universel (Intouchables, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain). Elle n'a pratiquement jamais choisi un suspense complètement cinglé comme Elle, qui est réalisé par le créateur du nanar culte Showgirls. Une fois n'est pas coutume et c'est une excellente chose.
Elle est certainement l'oeuvre la plus tordue et malsaine de 2016. En apparence, il s'agit d'un suspense racé et sophistiqué sur une femme (Isabelle Huppert) qui cherche à se venger de l'homme qui l'a violée. Tout son entourage est suspect et le cinéaste Paul Verhoeven s'amuse à recréer ses éternelles obsessions et plus précisément les motifs de son célèbre Basic Instinct en y ajoutant une violence plus psychologique que sur ses RoboCop et Total Recall. La tension est dans le tapis, la mise en scène continuellement en mouvement et l'ombre d'Alfred Hitchcock se fait souvent ressentir.
Ce serait pourtant passer à côté de l'essentiel. À partir du roman Oh... de Philippe Djian, l'auteur de l'incomprise satire Starship Troopers demeure au niveau de la comédie très noire. Malgré des scènes inconfortables de viol et de domination, le rire demeure omniprésent, poussant le cinéphile à se questionner s'il peut s'esclaffer autant. Le scénario pervers qu'en a tiré David Birke est sardonique à souhait, égratignant largement ces bourgeois qui se croient tout permis comme pouvait le faire Claude Chabrol ou Luis Bunuel (les comparaisons avec Belle de jour ne sont pas fortuites). Le récit complètement imprévisible recèle son lot de surprises et il y a un jeu constant sur les apparences et la fiction par des séances de sadomasochisme et de réalité virtuelle.
Il s'agit surtout d'un portrait incroyable d'une femme qui cherche à échapper à son passé, qui ne veut pas être traitée en victime et qui tente de reprendre le pouvoir sur son existence. Une héroïne post-féministe insaisissable et si riche, jouée royalement par la grande Isabelle Huppert qui s'y connaît en la matière après La cérémonie et La pianiste. Il n'y a qu'elle qui pouvait incarner cet être mystérieux et ambigu, inoubliable à bien des égards. La comédienne donne la réplique à une faune de personnages délirants qui sont défendus par la crème de la crème des acteurs français (Charles Berling, Laurent Lafitte, Anne Consigny, Virginie Efira...).
Dix années après Black Book qui nous avait laissé d'excellents souvenirs, Paul Verhoeven prouve qu'à 78 ans il n'a toujours pas dit son dernier mot. Il vient d'ailleurs de signer un de ses films les plus puissants, sauvages et divertissants en carrière, rivalisant avec les opus phares de sa période néerlandaise. Tour à tour subversif, amoral et provocant, Elle se plaît à constamment déjouer les attentes des spectateurs, s'aventurant avec audace et un humour ravageur sur les terrains sombrement inquiétants de ces fameuses « âmes torturées ». Tout n'est évidemment pas parfait (la manipulation a parfois ses limites et la finale pourra paraître trop ironique pour certains), sauf que l'on voit vraiment trop peu souvent ce type de farce existentielle qui nous fait passer par toute la gamme des sensations et des émotions.