Le cinéma d'André Forcier a toujours été unique dans la cinématographie nationale québécoise, et bon nombre de ses films ont laissé une marque indélébile sur le cinéma québécois. Au clair de la lune, en 1983, illustrait à la perfection ce mélange de féérie et d'engagement social qui forme encore aujourd'hui la signature Forcier. Avec Je me souviens, sorti il y a deux ans, on en avait pourtant aperçu les limites : les nouvelles réalités de nouveaux modes de production (peut-on supposer) ont grandement affecté la représentation visuelle de l'imaginaire du réalisateur jusqu'à lui nuire. Heureusement, le réalisateur retrouve ses repères dans Coteau rouge, un film qui fait fi d'un budget dérisoire pour redonner toute la place à ce qui compte vraiment.
Le premier tiers du film ne laissait pas du tout présager que le « vrai » Forcier avait retrouvé ses repères; longuette, l'introduction du film, explicative et peu subtile, soulignait les défauts de Je me souviens; interprétations affectées, personnages nombreux et parfois confus, caméra « tricheuse » qui utilise de nombreux raccourcis, etc. Heureusement, une fois que tout est en place, on peut commencer à profiter pleinement de la truculence de l'humour de Coteau rouge. Il s'agit peut-être seulement de laisser le temps à l'oreille de trouver la note, de s'adapter au ton unique d'un film comme celui-ci, où surmonter l'adversité est une tâche quotidienne.
Une fois que c'est fait, on peut enfin apprécier le commentaire social du film autant que son humour décalé. Forcier ne s'encombre pas et dénonce, par autant de clins d'oeil, des tares de notre société de consommation, passant d'un reproche au culte de la beauté plastique à l'éloge de la solidarité sociale. Les dialogues, savamment complexes par moments, secs et arides à d'autres, finissent par dérider lorsque le film trouve enfin son rythme. L'humour y est alors à l'honneur, dans une hilarante suite de gags particulièrement bien trouvés qui profitent grandement des nombreux revirements du scénario qui, une fois qu'il est véritablement amorcé, file à toute allure, enchaînant les revirements de situations et les caméos déstabilisants (parlez-en à France Castel).
On remarque aussi que les comédiens sont bien plus efficaces que lors du film précédent; à commencer par Roy Dupuis, en meilleur contrôle de son personnage (et criant de vérité dans le rôle d'un prospecteur immobilier sans scrupules) et par Gaston Lepage qui, s'il n'incarne pas exactement un personnage de composition, s'avère efficace. Maxime Desjardins-Tremblay est lui aussi fort amusant et Bianca Gervais, enfin en possession d'un personnage qui la met au défi, convainc.
Certes, toutes les sous-histoires n'ont pas la même efficacité - et il y a aussi ce slam, plus ridicule que le pape n'est catholique, qu'on ne s'explique toujours pas... - et toutes les blagues ne fonctionnent pas aussi bien, mais on peut enfin cerner dans Coteau rouge ce qui a tant séduit par le passé dans les films d'André Forcier. Voilà qui est réconfortant! À savoir si on est en face d'un objet qui traversera le temps, c'est une autre histoire...