Le plus difficile pour un cinéaste est de savoir quand s'arrêter. Jean-Paul Rappeneau qui sera toujours associé à son remarquable Cyrano de Bergerac avec Gérard Depardieu a eu une carrière plus qu'enviable. De 1966 avec son excellent La vie de château à 2003 et son sympathique Bon voyage, il a réalisé des oeuvres solides, peut-être pas impeccables, mais qui tenaient généralement la route. Alors qu'on le pensait à la retraite, le créateur de 84 ans retontit avec Belles familles qui est le projet de trop dans sa filmographie.
Ce n'est cependant pas en regardant la fabuleuse distribution qui comprend Mathieu Amalric, Gilles Lellouche, Nicole Garcia, Karin Viard et André Dussollier qu'on s'en rend compte. Il y a même notre Yves Jacques national qui vient y faire un tour, trop content de pouvoir tourner en France après le décès de Claude Miller qui le faisait jouer dans presque tous ses films. Mais trop de gros noms à la même enseigne est généralement un mauvais présage. Qui se manifeste rapidement.
Cela ne prend pas cinq minutes avant de découvrir que quelque chose cloche. Chaque personnage - et il y en a beaucoup - est présenté à un rythme d'enfer, dévoilant des êtres insupportables qui ne font que hurler et gesticuler. Ces âmes sont décrites grossièrement et les comédiens forcent le jeu, devenant des caricatures hystériques d'eux-mêmes. Que de talent saboté!
L'intrigue se noue autour d'un fils (Amalric) qui réapparaît auprès des siens après tant d'années à l'étranger. Pressé à repartir, il tente pourtant de réparer les erreurs du passé, se replongeant dans une saga d'un père décédé qui avait deux familles qui ont fini par éclater.
Cette fertile matière première sur les fantômes qui reviennent hanter, les liens que l'on peut créer, les choix de vie, les secondes chances, les blessures de l'enfance et les valeurs qui nous guident auraient pu donner quelque chose de fécond. Surtout si on avait fait appel à un Arnaud Desplechin qui ne connaît cet univers que trop bien (pensons seulement à ses sublimes Un conte de Noël et Trois souvenirs de ma jeunesse).
Sauf que le scénario écrit par Rappeneau, son fils Julien et le réputé Philippe Le Guay part dans tous les sens, multipliant les invraisemblances et les coups de théâtre inutiles, tournant à vide lors de valses conformistes qui offrent bien peu de surprises. Le résultat peut paraître léger, joyeux et pétillant, mais son parfum s'efface au bout de quelques minutes, ratant du coup d'explorer des zones plus profondes, mélancoliques et nostalgiques.
Bien que le tout débute dans le drame, il n'y a rien à prendre au sérieux dans ces engueulades sans queue ni tête et ces prises de conscience tardives. Le rire se fait alors ressentir devant le ridicule des situations et cet humour n'est pas assez fort et présent pour tenir la route jusqu'à la fin. La comédie se mute alors en romance kitch inopérante entre un Amalric qui aimerait tant être ailleurs et Marine Vactch (remarquée dans l'agréable Jeune et jolie de François Ozon) dont le jeu sonne parfois faux. En se concentrant sur ce duo largement inégal, l'intérêt vacille et l'émotion n'arrive pas à filtrer.
La mise en scène raffinée qui distille une certaine élégance finit par ressembler à un téléfilm de luxe. Les ellipses n'y sont pas toujours bien intégrées et les métaphores demeurent lourdes. Bien sûr qu'il y a une maison qui tombe en ruine pour exprimer le désarroi de ces familles et que le héros en confrontation avec un ami et rival (Gilles Lellouche) tard le soir doit éviter de se faire écraser par des voitures. Mieux vaut tard que jamais pour affronter des obstacles inattendus...
Il y a derrière Belles familles un désir évident de revenir aux longs métrages loufoques des maîtres de l'âge d'or américain qu'étaient Ernst Lubitsch, Preston Sturges, Howard Hawks et George Cukor. Il y manque cependant une vision d'ensemble, des dialogues savoureux, une réelle direction d'acteurs et des prestations étoffées pour qu'on y croie le moindrement.