Andrea Arnold est certainement la plus grande cinéaste en activité. Il n'y a personne qui confectionne de plus beaux portraits de femmes qu'elle. De l'excellent Red Road au renversant Fish Tank en passant par l'éblouissant Wuthering Heights, elle développe des rôles en or en les offrant à des actrices inconnues. Jeunesse, sexe, affranchissement des codes rigides de la société : tout y passe et on reconnaît amplement son style sur American Honey qui est sa fresque la plus ambitieuse en carrière.
Ce quatrième long métrage s'apparente dans son introduction à une variation sur son court Wasp de 2003. Une adolescente (Sasha Lane) prend soin de deux enfants (les siens? ceux des voisins? des frères ou des soeurs? On ne le saura jamais et ce n'est guère important) dans des conditions qui sont loin d'être recommandables. Lorsqu'elle fait la rencontre d'un séduisant et charismatique inconnu (Shia LaBeouf) qui l'invite à se joindre à sa "troupe" qui parcourt les États-Unis, la décision de tout quitter se prend assez rapidement.
Ce qui happe d'emblée dans ce road-movie sensible et existentiel est le cadre de l'image. En choisissant un format 4.3, la réalisatrice semble enfermer son héroïne dans sa banale réalité. C'est au contraire pour mieux l'affranchir et la sublimer, lui donner cette liberté salvatrice, ce désir de vivre et d'expérimenter coûte que coûte. On ne voit qu'elle et Sasha Lane livre une performance du tonnerre. La comédienne est tour à tour débonnaire, attachante et introspective, véhiculant toutes les émotions de la planète en se gardant bien de trop en faire. Cette tâche revient plutôt à Shia LeBeouf qui est tout simplement extraordinaire. Lorsqu'il est allumé et bien dirigé, l'interprète devient un des meilleurs de sa génération et il étonnera même ses détracteurs dans cette composition qui aurait très bien pu figurer dans My Own Private Idaho.
On pense évidemment à ce film culte de Gus Van Sant en regardant American Honey. Il y a cette même errance, cet aspect social qui se heurte à la poésie et l'imaginaire qui embrasse le réel. La création d'Arnold, davantage ludique et sensuelle, est également ouverte sur le collectif. Le duo en place doit interagir - et si possible être solidaire - au sein d'une sorte de fraternité et si on retrouve les traditionnels éléments de ce passage vers l'âge adulte (rite de circonstances, quête identitaire, expériences discutables), le tout est amené avec beaucoup de justesse.
La psychologie n'a aucune latitude pour exister dans ces grands espaces majestueux. Dès qu'il y a trop d'explications sur le comment du pourquoi et qu'une route devient tangible, le scénario bifurque et va ailleurs, avançant sans se poser de questions. Cette démarche pourra être frustrante pour certains. Surtout que l'ensemble qui s'échelonne sur plus de 160 minutes n'est pas sans longueur. On s'y perd pourtant allègrement pour se retrouver un peu plus tard, à l'image de cette Amérique foisonnante de possibilités, forcément inégale, mais dont le regard empreint d'espoir retient la lumière et non la noirceur des événements. Dans cette même optique, la trame sonore pas fondamentalement intéressante trouve tout son sens lorsque ce sont les personnages qui la fredonnent.
Il est toujours surprenant que les plus grands films sur les États-Unis soient mis en scène par des étrangers. Wim Wenders, Sergio Leone, Lars von Trier et quelques autres ont su capter brillamment cet esprit si particulier, cette richesse unique. Dans un registre plus modeste, David Mackenzie y est également arrivé plus tôt cette année avec son très solide Hell or High Water. C'est au tour d'Andrea Arnold de marquer les esprits avec American Honey, une oeuvre-fleuve, gigantesque et libre, parmi les plus abouties de l'année. On a déjà hâte de la revoir.