2008 fut une année capitale. C'est le moment où la crise économique a commencé à déferler sur la planète et l'époque où l'acteur Michael Shannon s'est vraiment fait remarquer avec sa performance renversante dans Revolutionary Road. Deux événements primordiaux qui sont au coeur de l'excellent 99 Homes, un effort criant d'actualité qui est également un des meilleurs films anglophones de l'année.
Le long métrage se déroule au plus fort de cette tragédie financière, où plusieurs personnes ont perdu leurs maisons. Un agent immobilier peu scrupuleux (Shannon) profite de ce malheur pour s'enrichir et il enseigne les rudiments de son art à un père monoparental (Andrew Garfield) qu'il vient tout juste de déposséder de sa demeure!
Cette alliance semble improbable, mais le jeune héros plus-que-parfait aurait fait n'importe quoi pour trouver un peu d'argent et ainsi sauver ses proches de la honte en rachetant la demeure familiale. En apprenant son nouveau métier qui lui permettra de s'enrichir, il mettra ses convictions et ses scrupules à l'épreuve, jusqu'à en perdre son âme.
La première séquence de 99 Homes happe le cinéphile par sa virtuosité. Il s'agit d'un long et déstabilisant plan-séquence qui montre un Michael Shannon déchaîné, complètement dans son élément. Une tension se crée en moins de cinq secondes et elle demeura entière jusqu'à la fin, gracieuseté d'une trame sonore électrisante et d'une réalisation nerveuse à souhait.
Shannon prend beaucoup de place et il vole chacune de ses scènes, rappelant qu'il est probablement le plus grand diamant brut du cinéma. Il ne fait pourtant pas trop d'ombre à Andrew Garfield, qui est présenté la première fois en plein ciel, comme son iconique Spider-Man. Le comédien a un rôle plus ingrat et il étonne dans sa façon d'éviter les clichés d'usage. Sa mère est campée par l'expérimentée Laura Dern et elle amène un aplomb qui manquait tant au Wild de Jean-Marc Vallée où elle incarnait un personnage assez similaire.
Cette relation entre le maître et l'élève évoque beaucoup celle du Wall Street d'Oliver Stone et elle permet une vulgarisation du marché économique, de ses codes et de ses possibilités. L'exercice peut paraître simpliste et il n'évite pas quelques détours moins subtils et manipulateurs, où des enfants et des personnes âgées souffrent à l'écran. Cela décuple toutefois l'effet du projet, le rendant encore plus puissant. Pendant que les spectateurs ragent devant tant d'injustices, le ton verbeux, cynique et incandescent qui évoque les écrits d'Arthur Miller et de David Mamet s'immisce subtilement en eux, créant un amalgame de sensations fortes.
Tout comme l'était A Most Violent Year pour J.C. Chandor, 99 Homes est un peu l'opus de la consécration pour Ramin Bahrani. Le cinéaste étasunien d'origine iranienne est un des plus importants artistes des dix dernières années, créant des oeuvres sociales pas très éloignées du documentaire (pensons seulement au remarquable Chop Shop) qui deviennent de plus en plus noires et chargées au fil du temps. Et si à l'instar de son précédent At Any Price, les conséquences du rêve américain s'avèrent tragiques, elles ne sont pas sans compassion envers ses personnages qui suivent un code moral fort où transpire un certain espoir. Cela peut rendre la fin un peu décevante, mais également inspirante en cette période où les valeurs perdent leurs sens.